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Réflexions liturgiques et théologiques

mardi 30 octobre 2012


Les hypothèses  de Claude Tresmontant.
Selon les hypothèses de cet auteur,  présentées dans son livre «  le Christ hébreu », l'évangile de Marc fut écrit vers 40/60. Pour cet auteur les quatre évangiles et l'apocalypse furent rédigés en hébreu avant l'incendie de Rome par Néron, et contrairement à l'opinion la plus répandue, l'évangile de Luc est le moins grec des quatre et le plus évidemment hébreu, sauf la première phrase.
                Claude Tresmontant écrit que si nous ne disposions pas de la Sainte Bible hébraïque, écrite en langue originale, « et si tous les textes hébreux étaient perdus, s'il ne restait que la traduction grecque que nous appelons la septante ou les septante, il se trouverait certainement aujourd'hui des savants pour soutenir mordicus que cette traduction grecque des Septante n'est pas une traduction et que la Bible a été écrite directement en grec. D'ailleurs l'hypothèse n'est pas dans l'air, puisqu'il existe quelques livres qui ne nous sont conservés qu’en traduction grecque, et dont l'original hébreu est perdu. On voit très évidemment en les lisant que ce sont des traductions faites à partir d'un texte original hébreu. Il se trouve des savants qui soutiennent mordicus que ce sont des compositions originales faites en langue grecque, jusqu'au jour, comme cela s'est vu, où l'on découvre enfin l'original hébreu du livre en question.
Pour les quatre évangiles, il en va de même. Comme nous ne possédons plus, à cette heure, les documents hébreux originaux qui ont été traduits en langue grecque et qui ont donné les quatre évangiles, il se trouve, depuis plusieurs siècles, des savants qui soutiennent mordicus que ces quatre évangiles ont été écrits directement en langue grecque.
La démonstration du fait que les quatre évangiles-et bien d'autres textes de la bibliothèque de la nouvelle alliance-sont en réalité des traductions faites à partir de textes hébreux sous-jacents, cette démonstration est réalisable si l'on se souvient de ce que les psychologues allemands de la première moitié du XXe siècle appelaient la Gestalt théorie. Ce n'est pas en prenant les éléments, c'est-à-dire le vocabulaire, les mots, que l'on peut faire cette démonstration, car il se trouverait toujours un savant, comme par exemple Deissmann, qui découvrira dans telle inscription le mot dont on pensait qu'il était propre à la traduction grecque de textes hébreux. Les traducteurs de la Bible hébraïque en langue grecque n’ont pas inventé des mots grecs. Ils en ont forgés quelques-uns, mais assez rares. Ce qui prouve qu'il y a traduction, ce n'est pas seulement le vocabulaire, c'est la figure ou la forme de la phrase, c'est la structure de la phrase, c'est l'ensemble constitué par le vocabulaire, la structure de la phrase et la signification. Finalement la démonstration conduit à une évidence, si et seulement si l'on parvient avoir cette forme de la phrase ou de la formule qui est la forme de la phrase hébraïque. »
La critique biblique moderne se développa principalement au XIXe siècle en Allemagne sous l'action de philosophes et théologiens, en majorité protestants mais pas tous chrétiens, et influencé par les premiers frémissements de la Gestalt. Comme beaucoup de chrétiens au XIXe siècle, qu’ils soient protestants ou catholiques et même orthodoxes, ils étaient majoritairement antisémites. Nombre d'entre eux estimaient « qu'un juif ne pouvait écrire de telles choses. ». Encore maintenant c'est la conviction de certains fondamentalistes chrétiens aux relents d'antisémitisme viscéral. Ce sont eux qui ont imposé au monde la datation en vigueur encore aujourd'hui, malgré beaucoup de contrevérités. Pour Claude Tresmontant l'Évangile de Matthieu en hébreu se situerait juste après la résurrection de Notre Seigneur ainsi que celui de Jean. Et il donne les fourchettes suivantes : Luc dans les années 40-60, les premières lettres de Paul entre 50 et 52, Marc dans les années 50 60 et l'apocalypse autour de l'an 60.
Je vous fais grâce des analyses techniques, s'ils vous intéressent n'hésiter pas à retourner au livre cité en référence, et je vous donne les conclusions de l'auteur :
1.       l'Évangile de Marc est tout entier traduit à partir de textes hébreux.
2.       Mais sa traduction manifeste en plusieurs occasions un effort certain pour éliminer des expressions hébraïques qui étaient décidément trop dures à avaler, si j'ose dire, pour un lecteur issu du paganisme. Nous tenons donc là un indice que l'Evangile de Marc est postérieur à celui de Matthieu.
3.       Nombre de textes de première importance qui se trouvent dans Matthieu sont disparues de Marc. Ce sont des textes très difficiles pour un lecteur d'origine païenne.
4.       Marc, pas plus que Matthieu, Luc ou Jean, ne connaît la prise et de la destruction de Jérusalem et du Temple.
5.       Marc ne connaît pas la mort de Jacques, le frère du Seigneur, évêque de Jérusalem, en l'an 62.
6.       Marc ne connaît pas le massacre des chrétiens par Néron en 64 ou 65 et les persécutions qui ont commencé à partir de cette date.
7.       Marc a supprimé les textes tels que ceux qui concernent le signe de Jonas. On ne peut donc plus affirmer que sa traduction est antérieure au passage de l'heureuse annonce aux païens. Au contraire, les indices précédemment relevés laissent penser que son évangile s'adresse aussi à des frères et des sœurs issues du paganisme. C'est un évangile allégé.
Nous pouvons donc situer la traduction de Marc dans une zone de probabilité qui va des années 40 à 60. C'est à ce résultat que parvient, par d'autres méthodes, beaucoup plus savantes, John A. T. Robinson.
Il est bon de rappeler que Marc est le neveu de Barnabé qui est un juif originaire de Chypre, et fut l'un des premiers convertis, l’un des 12 pour nombre de spécialistes. C'est d'ailleurs lui qui s'est porté garant de la conversion de saint Paul devant les autres apôtres. Il a d'ailleurs accompagné celui-ci avec Marc lors de son premier voyage à Chypre. Puis Paul refuse de prendre Marc pour ses voyages suivants et entraine de ce fait le départ de Barnabé qui retourna chez lui en Chypre. Quant à Marc il se rend à Rome, où il rejoint Pierre avec qui ils convertissent en partie la communauté hébraïque des 12 synagogues qui s'y trouve. Marc est le traducteur de Pierre avec qui il travailla, mais il n'a pas connu notre Seigneur Jésus-Christ, pas plus que Paul et ses partisans, contrairement à Pierre et Barnabé.
L'activité romaine de Marc et de Pierre se déroulait sous le règne de l'empereur Claude, juriste et législateur avisé, habile et généralement tolérant sauf vis-à-vis des religions étrangères. Vers l’an 50 Claude fera expulser les juifs de Rome parce qu'ils ont causé des troubles par leurs disputes au sujet d'un certain Christos. Ce fait fut relaté, entre autres, par l'historien latin Suétone qui n'est d'ailleurs pas tendre pour les chrétiens.
Bonne et Sainte lecture de Saint-Marc.           P. Jean Moïse.

jeudi 18 octobre 2012


En ces temps troublés, et non seulement dans le domaine spirituel, nous constatons qu'un nombre important de personnes pérégrinent d'Eglise en Eglise, ou en sectes, ou encore en fraternités ou en cellules occultes de tout genre. Ces démarches étant grandement facilitées par le recours à l'Internet. Recherchant ce qui leur convient le mieux ; au regard parfois d'un ego exacerbé, mais le plus souvent par une quête tout à fait respectable de vérité. Cependant le risque est grand de passer de positions extrêmes en positions extrêmes, en recherche du sensationnel, dans lesquelles ces « errants » se perdent en perdant souvent leur temps, et très souvent leur argent.
Cela nous rappelle l'état de pauvreté spirituelle de l'empire romain au troisième, quatrième et cinquième siècle, ou une infinité de voies religieuses s’offraient aux chercheurs. Démarche normale pour un jeune, mais il faut savoir s'arrêter ! Nombre de chrétiens, en ces temps là, ont butiné chez les gnostiques, Mithra, Cybèle, Isis, Sol Invictus et j'en passe. Mais, après leur conversion définitive au christianisme, certains feront un véritable chemin spirituel jusqu'à devenir, même pour quelques-uns d'entre-eux, Pères de l'Eglise. À nous de convaincre les « touristes de Dieu » d'en faire autant.
Certains de nos contemporains ne jurent que par l'ésotérisme, alors que d'autres le rejettent systématiquement. Or, le christianisme fut, dès l'origine, ésotérique et initiatique ainsi que l'affirment les premiers auteurs, à commencer par Mathieu et Luc! Mais il fut aussi très rapidement associé à une démarche exotérique, qui est un réel mouvement vers « l'autre ». Notre démarche doit contenir ces deux aspects. L’exotérisme se nourrissant de l'ésotérisme et réciproquement.
Nous ne pouvons  vivre reclus dans notre grotte, notre demeure, en nous contentant de la prière, de la lecture divine, de la méditation et d’une ascèse individualisée. Mais nous ne pouvons pas non plus nous satisfaire d'assister aux offices, aux pèlerinages, aux conférences de toutes sortes ! Nourrissons-nous donc à ces deux sources ! Elles sont comme nos deux jambes pour nous permettre d’avancer sur le chemin spirituel. Certes, on peut avancer à cloche-pied, mais c'est très fatigant, l'on ne va pas bien loin et la chute est souvent fréquente. Intégrons ces deux aspects du christianisme, et enrichissons-nous d'une véritable dialectique spirituelle : ésotérisme, exotérisme, ésotérisme, etc.
Quant à notre attitude vis-à-vis du monde, notre guide Saint-Jean de Saint Denis précise que nous ne pouvons pas nous contenter de « vivre reclus dans nos cellules monastiques, ni au contraire de nous satisfaire d'un activisme social » en se coupant de tout le reste. Notre action dans le monde doit impérativement se nourrir d'une vie liturgique et sacramentelle et d’une ascèse personnelle ; et vice versa. Notre frère le diacre Marc Guichard, en partant du célèbre « rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. », développe dans son article paru dans la revue « le Chemin » (www. centre-bethanie.org) un aspect similaire, et donne le conseil suivant : « le chrétien est en même temps dans la cité terrestre et dans la cité de Dieu ». Certes, le Christ a affirmé qu'il n'était pas de ce monde ; mais Il a assumé le fait qu'il vivait dans ce monde et ce, jusque sur la Croix.
Père Jean Moise.

mercredi 6 juin 2012

A propos de la Sainte Trinité

Il y a une semaine nous avons fait mémoire de la descente de l'Esprit de Vérité sur Marie et les saints apôtres, et par là même sur tout les baptisés en Christ. Cette sainte Pentecôte ouvre le temps du millénium de l'Esprit comme le dit l'apocalypse. Pour nous la révélation de l'Évangile commence le jour où l'ange Gabriel dit à Marie : « l'Esprit Saint viendra sur vous, et la vertu du très haut vous couvrira de son ombre. C'est pourquoi l'être saint qui naîtra de vous sera appelé Fils de Dieu… » Et surtout lorsque Marie répondra : « je suis la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole ». C'est le « fiat volontas tua ». L'Esprit Saint est à l'œuvre pendant toute la période historique de la vie de Notre Seigneur. Lors de la Visitation de Marie, sa cousine Élisabeth est remplie de l'Esprit Saint, tout comme Saint Jean le Baptiste qu'elle porte dans son sein. L'Esprit Saint descend sur le Christ lors de son baptême et l'accompagne tout au long de sa mission. À chaque fois nous avons affaire à une théophanie trinitaire que l'Eglise décrit et définit de façon dogmatique : la Nature divine s'épanouit en Trois Personnes. Ce dogme est d'une importance capitale, non seulement pour la spiritualité chrétienne, mais aussi pour la structure de l'Eglise en ce qui concerne l'ecclésiologie. Il y a là une cohérence parfaite, en sorte qu'un incroyant, ou un chrétien par habitude, peut ne rien comprendre à l'Eglise. Dire que l'Eglise a été instituée par le Christ et qu'elle est animée par le Saint Esprit ne suffit pas. Il nous faut élever notre réflexion si l'on veut un peu mieux comprendre ce qu'est l'Eglise.
Certains se demandent pourquoi le Saint Esprit fut envoyé deux fois, la première fois, après la résurrection, selon Saint-Jean (20,21-22) : « comme mon Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie, dit Jésus à ses disciples ; après ces paroles, il souffla sur eux, et leur dit : recevez l'Esprit Saint… ». La seconde fois lors de la Sainte Pentecôte. Une explication simpliste consiste à dire que la première fois fut partielle, en quelque sorte la préfiguration de la seconde, qui, elle, viendra en plénitude. « Certaines mauvaises langues » peuvent même avancer que lors de la première fois « cela n'a pas marché ». Nous préférons voir dans ces deux interventions les deux aspects de l'Eglise :
·         Le souffle envoyé par Jésus sur ses disciples est un acte collectif : « recevez le Saint Esprit. Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez… » Cela correspond à l'aspect sacramentel, et par la suite institutionnel voir hiérarchique de l'Eglise. Cet aspect, d'ordre sacramentel, est l'œuvre du Fils qui confère à l'Eglise sa structure essentielle, sa nature.
·         Les langues de feu, qui se divisent et se posent sur chacun des apôtres, signifie l'action personnelle du Saint Esprit sur ceux-ci, et, par extension, sur chacun des fidèles, sur chacun d'entre nous. Il s'agit ici de l'œuvre de l'Esprit Saint : la sanctification des âmes, que l'on peut appeler « aspect charismatique de l'Eglise ».
Il s'agit donc de deux aspects de l'Eglise : le premier est sacramentel et hiérarchique, le second charismatique et spirituel. On peut avancer l'hypothèse que le premier correspond à la mission du Christ et le second à la mission du Saint Esprit, et que ces deux missions correspondent au niveau de la Sainte Trinité à ce qu'on appelle les deux processions divines : la génération du Verbe et la spiration du Saint Esprit. Ainsi, « dans cette perspective admirable, l'Eglise apparaît comme la parfaite image de la Sainte Trinité ». Il est bien évident que ces deux missions sont inséparables.
La théologie chrétienne s'intéressant à l'état humain, nous pouvons voir dans le dogme trinitaire la réalisation de l'intégralité de cet état humain comme tel : être, sagesse, volonté. Je reprendrai ci-après l'analyse que fit l'abbé Stéphane dans son livre « l'ésotérisme chrétien » :
Dieu est conçu comme une Essence se présentant en trois Personnes, et chaque Personne est conçue comme une relation subsistante (autonome) distincte des deux autres Relations et s'identifiant à l'Essence divine par son caractère de subsistance : ce n'est pas un accident surajouté à l'Essence divine, mais il est, si l'on peut dire, dans la nature de l'Essence divine, de se présenter en trois Relations subsistantes. Cette conception de la divinité est donc exclusive d'un absolu qui transcenderait les trois Personnes ». C'est en cela que consiste la différence essentielle entre la Trinité et les triades des antiques religions. « C'est pour cette raison que nos théologiens ne peuvent pas concevoir qu’un hindou, par exemple, puisse atteindre l'Absolu sans passer par le «truchement », de ces trois Personnes et leur mission terrestre.… Ce que nous, orthodoxe, appelons l'économie du Fils et l'économie du Saint Esprit. Le rapport créateur-créatures est inconcevable en dehors de la Trinité et de l'Incarnation ; c'est ce qui oppose la philosophie chrétienne à la philosophie antique. Un Absolu « absolument absolu » ne pouvant créer du relatif, il faut qu'il existe un « relativement absolu » au sein de l'Absolu, c'est la fonction des trois Personnes ; toute la philosophie chrétienne est ainsi dominée et déterminée par le « Dieu est amour » de Saint-Jean.
Voyons maintenant comment fonctionne cette Sainte Trinité : « la Personne du Père n'est autre que l'Essence divine en tant qu'elle engendre la Personne du Fils, et vice versa. Il en est de même pour le Saint Esprit. Cet échange mutuel, ce don total de l'Essence divine qui circule éternellement, et en dehors bien entendu de toutes conditions limitatives d'existence comme le temps et l'espace, constitue un double mouvement qui embrasse les trois Personnes. C'est en quelque sorte la révélation de Dieu à Lui-même par Lui-même ». Aucune des Personnes divines ne garde jalousement la possession de l'Essence divine pour elle-même, mais elle en fait le « don total »-le Sacrifice-aux deux autres, en même temps qu'elle la reçoit d’elles. « Elle est donc pauvreté, plénitude, bonté. Elle est l'action de Grâce par excellence, par laquelle les trois Personnes se rendent mutuellement grâce; c'est la Sainteté du « Dieu trois fois saint »: c'est la liturgie suprême en Dieu, c'est le chant du Trisagion, de la triple action de Grace ». Cette gloire est infini et appelle à l'existence des possibilités de manifestation comprise dans le verbe (prologue de Saint-Jean) : Dieu crée par Amour. « Les créatures en Dieu, dans leur essence, ou archétype éternel, sont comme des rayons internes de la Gloire essentielle de Dieu. Sur le plan existentiel, elles sont comme des rayons externes de cette Gloire ; lorsqu'elles sortent du chaos des possibilités pour parvenir à la « surface » des eaux, elles poussent le « cri primordial » : alléluia ! » Rappelons que le Sacerdoce et le Sacrifice sont essentiellement « un sacrifice de louanges, et dans cette perspective, l'Eucharistie est essentiellement « l'action de grâces », entendu non pas comme une attitude psychologique de remerciement mais comme une participation eschatologique à l'Action de Grâce Suprême, au Sacrifice et au Sacerdoce du Verbe en Dieu lui-même ». L'être humain entre donc, par cette dynamique, dans la communion des trois Personnes pour participer éternellement à la gloire éternelle de Dieu. Dans l'Incarnation, la Personne du Fils s’unit à la nature humaine ; dans le Christ, il y a union hypostatique des deux natures divine et humaine. Quant à la communication du Saint Esprit, elle transmue l’âme au niveau de la procession du souffle caractéristique de la troisième Personne. Saint-Jean de la Croix, dans son « cantique spirituel » écrit : « l’âme spire la même spiration d'Amour que le Père et le Fils spirent en elle dans cette transformation ». L'abbé Stéphane précise que dans la nuit obscure, les trois vertus théologales purifient les trois puissances de l’âme et les réfère aux trois Personnes : « la foi purifie l'intelligence et la conduit au Fils qui est Lumière, la charité purifie la volonté, et la conduit au Saint Esprit qui est Amour, enfin l'espérance purifie la mémoire, par le souvenir de Dieu, et la conduit au Père ». Enfin, l'action du Saint Esprit se manifeste dans la maternité hypostatique du Saint Esprit : en Dieu, le Saint Esprit révèle le Père et le Fils à eux mêmes ; en nous, l'Esprit opère une révélation analogue. « Nul ne peut prononcer le nom de jésus si ce n'est par l'Esprit » (1 Cor.12, 3).
La Sainteté, loin de se réduire à un volontarisme moral, est essentiellement une participation à la Sainteté divine telle qu'elle apparaît dans notre réflexion ci-dessus : c'est un dépouillement, un anéantissement de son être dans l'autre qui lui fait trouver par là même son « être propre ». Ce qui constitue essentiellement la Personne divine, c'est de se donner entièrement à une autre Personne divine. « Le Père est donc le Grand Pauvre par excellence, et c'est ce qui fait son infinie richesse ». Réciproquement le Fils se connaît dans le Père comme engendré du Père, tout comme l'Esprit qui en procède. À leur tour, ils n'existent comme Dieu, que parce qu'ils viennent du Père. Le Père ne possède l'Essence divine que parce qu'il la donne au Fils et à l'Esprit qui ne possèdent l'Essence divine que parce qu'ils la reçoivent du Père. C’est cela qui distingue les trois Personnes. C'est la même Essence qui est donnée et reçue par chacun. Le même mouvement d'Amour lie le Père à l'Esprit et au Fils, le Fils au Père et à l'Esprit et l'Esprit au Père et au Fils. Le Fils et l'Esprit ne peuvent se constituer en tant que Personne que s’ils communiquent à l'autre tout ce qu'ils ont reçu d’elle ; ils ne peuvent recevoir l'Essence divine que s'il la donne à leur tour ; ainsi le Père reçoit ce qu'il a donné et « se retrouve ». « La vie divine consiste dans la réciprocité d'un altruisme parfait, total, fait d’infinie pauvreté et d’infinie charité. Cet acte devient ainsi infini richesse dans le dépouillement. C'est en cela que constitue ce que l'on peut appeler le « Sacerdoce éternel du Verbe », dont le sacrifice du calvaire sera l'incarnation dans le temps », une manifestation historique nécessaire.
Nous sommes ici au sommet de la révélation. Ceci constitue, si l'on peut dire, la base et le sommet de l'Évangile. C'est le mystère de la Divine Pauvreté et de la Divine Charité, de l'anéantissement du Fils et de l'effusion de l'Esprit dans le sacerdoce éternel du Fils.

mercredi 30 mai 2012

La Sainte Pentecôte


        Cette liturgie est célébrée avec les ornements liturgiques rouges, couleur du feu de l'Esprit Saint, et commence par les Tierces Royales. L'Office des  tierces fait  partie des petites heures monastiques, et est dédié au Saint Esprit. C’est saint Hugues, abbé de Cluny, qui décide d'enrichir l'Office de tierces de la Pentecôte par un cantique du 9ème siècle que la tradition attribue à Charlemagne. Cette tradition a semblée si belle que l'église l'a adoptée dans sa liturgie. Aux accents inspirés de ce cantique, nous nous recueillons, et appelons le Saint Paraclet qui «plane sur tous les temples de la chrétienté, et descend dans tous les cœurs qui l’attendent avec ferveur ». La première strophe de cet hymne, si tendre et si imposant, se chante toujours à genoux.
            Le Christ a toujours affirmé qu'il était venu accomplir les Ecritures. C'est le cas de la Pâque et de la Pentecôte. Les actes de Notre Seigneur Jésus-Christ respectent les rythmes et les temps de l'Ancien Testament. Moïse et le peuple d'Israël ont traversé la mer des joncs lors de la première Pâque. Le Christ a traversé la mort lors de la seconde Pâque. Puis après 7 semaines dans le désert, au 50e jour fut scellé, sur le Sinaï, l'alliance de Dieu et de son peuple dans le tonnerre et les éclairs : première Pentecôte. Le 50e jour après la résurrection, l'Esprit Saint scelle à nouveau une nouvelle alliance en descendant, dans le tonnerre et les éclairs, sur les disciples et Marie la très sainte Mère de Dieu rassemblés dans la chambre haute : deuxième Pentecôte. Nous pouvons également faire le parallélisme entre la trahison du peuple qui avait suivi Moïse, et celle de saint-Pierre lors de la Passion de Notre Seigneur, ainsi que le doute de Thomas. Nous rappellerons également que 50 est le nombre du Jubilé. Dans les premiers temps de la vie en Terre Sainte, lors de la 50e année, étaient redistribués les « patrimoines ». Les psaumes disent en effet : « le cordeau m'a donné la part la meilleure ». Cette 50e année était une année sabbatique. Elle signe un nouveau départ, en quelque sorte une nouvelle création. Il en est de même pour les 50 jours de la Pentecôte : 49 qui résultent de l'exaltation du sept (7 × 7), le 7 étant le nombre divin de la création, auquel s'ajoute l'unité (1) : signe d'un retour à l'unité, d'un nouveau départ, une nouvelle création. La première Pentecôte du mont Sinaï a fait d'Israël le peuple élu. Il devait donc y avoir une seconde Pentecôte pour tous les peuples, comme il y avait eu une seconde Pâque pour le rachat du genre humain.
Après l'Ascension, les disciples de Notre Seigneur « montèrent dans la chambre haute… Tous d'un même cœur, était assidu à la prière », précise les Actes des apôtres qui rappellent que Jésus « leur prescrivit de ne pas quitter Jérusalem, mais d'attendre la promesse du Père : celle que vous avez entendue de moi : Jean vous a baptisé avec de l'eau, mais vous, c'est dans l'Esprit Saint que vous serez baptisés». Ainsi, les apôtres pourront répondre à la mission voulue par le seigneur et précisée par Mathieu (28,19-20) :   « allez donc, enseigner toutes les nations… ».
L'Esprit Saint promis par Jésus, et qui descend sur les apôtres en ce jour, c'est le même Esprit qui était descendu dans le feu du Sinaï pour graver la Torah qui fit d'Israël un peuple. En ce jour les dons qu’Il nous a donnés à profusion vont constituer l'Eglise, que les Actes définissent comme « une multitude de croyants n'ayant qu'un cœur et une âme ». Cet envoi de l'Esprit Saint est inséparable du Christ qui est « porteur de l'Esprit Saint ». Olivier Clément dit à ce propos : « l'Esprit est cette puissance que nous pouvons en quelque sorte assimiler par notre souffle, si notre souffle se fait porteur de Dieu », car le souffle Saint produit une véritable résurrection de notre âme mort, pour la Vie en Christ.
Avec l'Ascension s'achève la présence historique du seigneur, mais sans la Pentecôte, elle resterait sans effet dans notre vie. La Pentecôte actualise le sens de la création et de l'incarnation : c'est le commencement de la Vie en Christ dans le feu du Saint Esprit. Par l'Esprit Saint, Marie enfante à nouveau. Cette fois-ci c'est la Sainte Eglise qui est mise au monde et que Marie a charge de nourrir et de protéger. Ce jour est la fête de tous les baptisés en Christ, ces hommes et ces femmes priant les uns pour les autres. L'Esprit Saint est à l'œuvre dans notre monde, en attendant le retour en gloire du Christ, et comble l'Eglise de ses dons, de ses charismes, et remplit les cœurs de joie et de vie débordante. Ces charismes sont complémentaires les uns des autres comme le dit saint Paul dans la première épître aux corinthiens (12,4-11).

samedi 19 mai 2012

Ce qui nous différencie de nos autres frères chrétiens


  1. Introduction
Lorsque l'on parle de différence on pense d'abord au Filioque. Pour les orthodoxes, le Saint Esprit procède du Père (credo de Nicée Constantinople) alors que pour les catholiques, il procède du Père et du Fils (dès le 9ème siècle). Nous aborderons ce problème un peu plus tard.
Pour les orthodoxes, le mode de gouvernement de l'Eglise est fondé sur le rôle central de l’évêque, ce qui donne une organisation décentralisée. Pour les catholiques,  l'organisation est pyramidale, et l’autorité provient du pape, évêque de Rome. Il se considère, depuis le haut Moyen Âge, comme le vicaire du Christ successeur de Pierre qui, en quelque sorte, se survit en lui, et gouverne à travers lui l'église universelle. Lors du concile du Vatican (1870) le dogme de l'infaillibilité pontificale est pris relativement à la hâte. Certains auteurs relient cette décision à l'annexion des Etats pontificaux par Victor-Emmanuel. Le monde orthodoxe ignore totalement cette décision.
Une autre différence est celle de l'ordination des hommes mariés qui est d'usage en orthodoxie mais interdit dans le catholicisme romain. La règle du célibat des prêtres est adoptée lors du 4ème concile du Latran en 1216 (Innocent 3). Il ne faut pas confondre cet usage avec un « improbable mariage » de prêtres déjà ordonnés.
Nous ne traiterons pas des différences liturgiques. A ce sujet, nous vous conseillons l’ouvrage de Michel Mendez : « La messe de l’ancien rite des Gaules », pour une étude historique et critique, et « L’Eucharistie Sacrement du Royaume » d’Alexandre Schmemann pour une étude historique et symbolique.
Nous allons établir une rapide chronologie afin d'éclairer ces différences et de les replacer dans leur contexte.

  1. Bref rappel historique
Durant la période des origines, on concevait l'Eglise comme un ensemble d'églises locales en communion réciproque, chacune réalisant la totalité du mystère de l'Eglise, de même, aucune autorité particulière de droit divin n'était attribuée au siège métropolitain. L'Eglise de Rome ne faisait pas exception. Contrairement aux idées reçues, il n'existait qu'un seul Empire romain, ni oriental ni occidental, qui ambitionnait de « faire de l'univers divisé une seule cité ». Dès le 4ème siècle, cet Empire s'était doté peu à peu d'une culture spécifiquement chrétienne et universelle. Il a toujours gardé son unité constitutionnelle et spirituelle même lors de la parenthèse de 286 à 476 qui vit l'émergence de «  2 empires ».
Progressivement, les églises locales occidentales ont adopté le latin, abandonnant les langues locales et le grec. La conception de la primauté romaine sera peu à peu acceptée par tout l'Occident qui a tendance à calquer l'antique tendance à l'universalité romaine en l'appliquant à la "Rome chrétienne". Gélase 1er, pape de 492 à 496, va contester l'équilibre des 2 pouvoirs, ecclésiastique et impérial, en prônant un papo- césarisme qui subordonne le pouvoir temporel au pouvoir spirituel. Ce principe s'affirmera sous les carolingiens qui deviendront les protecteurs de l'église de Rome. Grégoire III fut le dernier pape qui ait demandé à l'empereur de Constantinople la confirmation de son élection. Ses successeurs notifieront la leur à la cour carolingienne, dont ils auront consacré l'usurpation des droits des mérovingiens. L'empire fondé par eux veut être l'unique et véritable « Empire chrétien universel ». Ce qui n’était pas le cas de Clovis et des rois mérovingiens qui régnèrent sur la plus grande partie de la Gaule et qui restèrent intégrés à la conception de l'Empire. Les carolingiens inciteront Rome à condamner la vénération des icônes et introduire le Filioque augustinien dans le symbole de la foi.
Le second point de divergence est d'ordre théologique. Il découle de la doctrine de saint Augustin. Ses réflexions marqueront profondément l'histoire de l'Occident chrétien mais les Eglises non latines ne les accepteront jamais. Les prises de position d'Augustin s'expliquent en grande partie par son parcours : d'abord manichéen puis néoplatonicien, il devint chrétien en 387 lorsqu'il fut baptisé à Milan par Saint Ambroise. Sa conversion l’a amené à valoriser les capacités de l'intelligence humaine en ce qui concerne la connaissance de Dieu et du mystère même de la Sainte Trinité. Cela l'amène à subordonner l'humain au divin mais sans le transfigurer. La transfiguration sera au contraire une constante du christianisme orthodoxe.
Ses a priori ont conduit Augustin à s'attacher aux analogies psychologiques du mystère trinitaire (mémoire-intelligence-amour) sont le reflet du père-fils-esprit). L'emploi de la « catégorie aristotélicienne de relation » pour définir les personnes divines, va l'entraîner à affirmer que le Saint Esprit procède du Père et du Fils comme d'un seul principe.
D'autres aspects de sa doctrine sont rejetés par la pensée orthodoxe : sa doctrine de la grâce et de la prédestination, entre autres, en sacrifiant le principe de la liberté humaine. Cela se retrouvera dans un certain protestantisme et le jansénisme. Sa doctrine du péché originel débouchera sur le dogme de l'Immaculée Conception.
Une certaine lecture de « la cité de Dieu » va conduire à une théocratie pontificale où toute autorité sera soumise au pape, souverain pontife. Nous pouvons dire que la lutte du sacerdoce et de l'empire, la théocratie et ses avatars ultérieurs, le cléricalisme et l'anticléricalisme qu'il a suscité, les causes profondes de la réforme protestante, certains aspects du gallicanisme du 17° siècle, les controverses sur la grâce et le jansénisme, sont  les conséquences de l'augustinisme et de sa problématique. Nous pouvons penser que tout cela a pour conséquence, également, la réduction de la vie spirituelle à une éthique sociale en relativisant les affirmations dogmatiques.
Toutes ces divergences seront avivées par la conquête et la mise à sac de Constantinople en 1204 par les armées croisées franques et germaniques. La rupture de l'unité spirituelle de l'Europe sera majorée par plusieurs facteurs :
·         L’expansion de l'islam, par la conquête de l'empire perse ainsi que les territoires des patriarcats d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem, va isoler l'Europe occidentale du reste de l'empire et recentrer le pouvoir vers le nord de celui-ci.
·         Les invasions slaves détruisirent presque toute trace du christianisme et de romanité dans les régions balkaniques obligeant les populations chrétiennes à se réfugier dans les montagnes.
·         L'empire carolingien et la papauté vont ignorer ces drames vécus par l'empire byzantin, ce qui augmentera encore la scission entre l'Orient et l'Occident, tout comme l'utilisation par le pape Nicolas Ier de faux décrets attribués aux papes antérieurs.

  1. Le Filioque.
L'origine de cette conception se trouve dans l'enseignement de Saint-Ambroise qui a écrit : « car de même que le Fils nait du Père, de même l'Esprit Saint procède du Père et du Fils » mais surtout dans celui du bienheureux Augustin qui affirme la procession du Saint Esprit par le Père et le Fils dans de nombreux passages de ses écrits et principalement dans le « De Trinitate ». On reparle de cette addition au concile de Tolède en 585. Charlemagne l'appuya au synode d'Aix-la-Chapelle, mais le pape Léon III refusera cette proposition. Elle sera reconnue  sous le pontificat de Nicolas Ier ; on peut dire que cette décision va consacrer la séparation entre les églises d'Orient et d'Occident. Elle ne fut définie comme dogme qu'au concile de Lyon en 1274.
Bien évidemment les églises non latines la rejetèrent comme une altération de la foi apostolique. Pour nombre de théologiens orthodoxes le Filioque « détruit la délicate balance entre l'unité et la diversité dans la Divinité. Il subordonne l'Esprit au Fils sans prêter assez d'attention au rôle de l'Esprit dans le monde, dans l'Eglise et dans la vie quotidienne de chaque chrétien. Il accentue l'unité de Dieu aux dépens de la diversité. L'unité dans l'Eglise romaine a triomphé, de même sur la diversité, d'où le centralisme et l'excès d'autorité papale. » (Jean BIES : Dans "les Spiritualités comme Voies de Salut et de Délivrance, face aux "spiritualismes" contemporains").
Il nous semble évident que Charlemagne a imposé cette modification pour des raisons strictement politiques afin de rompre ainsi avec l'empire d'Orient. Quant à l'église romaine, elle justifiait ainsi le pouvoir de "souverain spirituel" du pape en le faisant « distributeur de la grâce du Saint Esprit », qui est pour elle, « l'Esprit du Christ « et qui « procède du Christ ». L'église d'Orient garde tout au contraire la foi dans l'indépendance de la grâce du Saint Esprit qui ne procède que du Père seul.

  1. Théologie
       Jusqu’au XIe siècle les théologiens occidentaux appartiennent encore à l'univers des Pères de l'Eglise et restent proches de la tradition orthodoxe. Mais progressivement le caractère trop scolaire et abstrait, pris par la théologie dogmatique dans les universités occidentales à partir du XIIIe siècle, s'écarte de la pensée orthodoxe en introduisant une dissociation entre « théologie et spiritualité ». La démarche occidentale, progressant par des constructions logiques, et par des  affirmations successives (cataphatique), s'éloigne de la tradition orientale. Celle-ci n'est pas intellectualiste, mais plutôt intellective, car avant tout soucieuse de conserver son rapport avec la transparence « supra mentale », selon Grégoire Palamas qui affirmait que « toute parole conteste une autre parole »., Ce qui est privilégié en orthodoxie, plutôt que la spéculation, c'est la mise en pratique par la liturgie et la prière, l'expérience intérieure.
La démarche orthodoxe préfère la voie négative, ou apophatique, ainsi que la voix paradoxale : l’antinomisme. Ce sont « deux échardes insupportables dans la chair du rationalisme » qui ne peut procéder que par affirmations successives ou oppositions catégorielles. Vladimir Lossky écrit « la vraie trame de la tradition de l'Eglise d'Orient procède inversement, et par toute une série d'éliminations, de soustractions, de réticences, retire à la divinité tout ce qui la recouvre d’écorces, de surcharges, et ne relève pas d'elle intrinsèquement. » Clément d'Alexandrie remarque « nous pouvons atteindre Dieu non pas dans ce qu'il est, mais dans ce qu'il n'est pas ».
Si l’apophase décourage le mental en insistant sur son impuissance à régner, l'antinomie le décourage en le crucifiant entre ces larrons qui sont les opposés. Pour la première ce n'est « ni ceci ni cela », pour la seconde ce sera « et ceci et cela ». Le "tiers inclus" a toujours habité cette tournure d'esprit. Pour Maxime le Confesseur «  rien de dit, ni rien de non-dit  ne peut approcher Dieu... Il se situe en réalité au-delà de toute affirmation comme de toute négation ». Pour l'orthodoxie le principe divin se situe au-delà même de la conciliation des contraires.

  1. « Ce que n'est pas l'orthodoxie ».
Restons donc dans une approche apophatique... La tradition chrétienne orientale n'est pas :
  • Historienne. Ce qui compte d'abord pour elle, c'est ce qu'enseignent la Sainte Ecriture et la tradition. Ce qui l'intéresse c'est l'acception dans la vie du Christ beaucoup plus que la vie de l'homme Jésus, le Christ historique, c'est avant tout Son enseignement et Sa mission.
  • Doloriste. L’imitation de la passion, la dramatisation des souffrances du sauveur lui demeurent anecdotiques. Ce que cette tradition contemple dans son humanité, c'est l'archétype de l'Humanité adamique, et dans la croix, c'est l'arbre de vie. « Elle ne saigne pas du tragique humain, mais rayonne de la joie pascale ».
  • Transformiste. Tout a été proclamé, une fois pour toutes, dans les deux Testaments, précisé par les sept premiers Conciles Œcuméniques, résumé par le symbole de foi de Nicée Constantinople. Cette tradition considère que la Vérité ne saurait progresser ou varier, et que le seul moyen de l'actualiser, de la perpétuer, c'est de la vivre ( avec tout ce que cela implique d'exégèse et de réflexion contemporaine". Il en est de même pour le respect du symbolisme liturgique. Ainsi de l'orientation de l'autel. Pour les Orthodoxes Il est inconcevable que le célébrant tourne le dos à l’Orient. L’Orthodoxie y voit une rupture des plus subversives avec le cheminement qui mène des ténèbres à la lumière, une inversion caractérisée du symbolisme spatial. 
  • Prosélyte. Notre position dans ce domaine c'est "venez et voyez" comme dans l'Evangile de Jean, cela implique un dialogue constant avec les autres ainsi qu'un partage chaleureux. Mais cette attitude n'accepte évidemment pas de compromis.
  • Dualiste. Depuis l'Incarnation, les corps des baptisés sont devenus « temples de l'Esprit Saint ». Se séparant ici de Platon, les Pères réhabilitent la matière. C'est là, dans les corps sanctifiés par les sacrements, que s'établit le « sanctuaire de Dieu ». Le « Royaume est en vous ». Lors de la liturgie clercs et laïcs communient sous les deux espèces selon l’injonction du Christ car ils appartiennent tous deux au « sacerdoce royal » qui fait que tout homme est « prêtre de son existence ». Il n'y a pas, non plus, d'opposition absolue entre l’Incréé et le créé, comme en témoigne l'apparition du Christ aux trois disciples sur le Mont Thabor.
  1. Le péché originel et la conception du salut.
La chute de l'homme a eu pour cause un acte libre et volontaire. Par orgueil, l’homme se voulut comme Dieu, et perdit donc toute relation immédiate avec le seul Dieu. Cette désobéissance originelle entraînait également la chute de la nature tout entière. Le péché et le mal viennent de la non observation des lois de Dieu. Saint Basile disait que « le péché est le seul mal réel ». Le seul remède est le retour vers Dieu. Pour les catholiques romains cela ne peut se faire que par un don gratuit de Dieu seul. Pour les orthodoxes c'est par la Grâce Divine et l'acceptation du Salut par l'homme : un retour volontaire de l'homme vers Dieu. Comme l'a écrit Pierre Kovalevsky :
« La différence entre les deux conceptions est donc radicale. L'orthodoxie croit que la nature créée était bonne en elle-même, et qu'elle était inclinée vers le Bien. Elle a été corrompue par l'orgueil et la désobéissance des premiers hommes. Une transformation de la nature ainsi qu’un retour libre et volontaire de l'homme vers Dieu est indispensables. Selon Saint-Macaire « tout ce que l'homme a fait de saint ici-bas l'accompagnera dans l'autre vie et lui donnera la vie éternelle ». Selon la doctrine catholique romaine l'homme avait, avant le péché originel, une vie naturelle et une vie surnaturelle. Il perdit, par le péché, la vie surnaturelle et toutes ses faveurs. Elles lui sont rendues gratuitement à cause des mérites de Jésus-Christ, à condition de rester en état de grâce et de.ne.pas.commettre.de.péché.mortel. Pour l'orthodoxie l'état sans péché mortel n'est qu'un état neutre qui ne suffit pas pour le salut.
                  
Depuis Martin Luther, les chrétiens réformés (protestants) pensent que la chute de l'homme a été définitive, irrémédiable. Il n'y a plus de relation possible entre le fini et l'infini, entre le naturel et le surnaturel. La rédemption ne peut venir que d'un acte miséricordieux de Dieu, moyennant la Foi.
Le jansénisme est plus pessimiste encore, quant à la nature humaine, que le protestantisme. La tragédie humaine consiste, selon lui, en ce que Dieu ne veut pas le salut de tous ses enfants.
L'orthodoxie croit que Dieu veut le salut de tous, et qu’il ne dépend que de l'homme de répondre à l'appel divin : Dieu vient à nous par Son Fils qui nous donne la possibilité du salut et la plénitude de la Vérité, mais pour être sauvé, il faut un acte libre d'acceptation et une transfiguration de la vie par la grâce du Saint Esprit. ».
Si le protestant ne se sent pas responsable de son salut, si le catholique ne porte cette responsabilité que dans une certaine mesure, l'orthodoxe se sent pleinement responsable de son salut et de sa damnation. Le but de l'homme est dans la transformation de sa nature humaine pour qu'elle puisse voir Dieu, et vivre dans sa communion constante. La voie du salut, pour un orthodoxe, consiste en un travail continu de purification qui le rapproche de Dieu. La foi est le moyen qui ouvre la voie du salut, mais elle n'est pas un but en soi, elle n'est que le commencement du chemin spirituel.
La doctrine de l'Immaculée Conception est une des conséquences de la théorie catholique du péché originel. Elle n'est pas acceptée par l'orthodoxie parce qu'elle constitue une rédemption partielle, et qu'elle est contraire à la doctrine de la liberté dans le Salut. Par la même, elle n'accepte pas l'acte d'obéissance qui est nécessaire pour notre rédemption. Si Marie la Vierge est conçue en dehors du « péché originel », quelle est sa proximité avec nous pauvres humains ? Par ce dogme elle est devenue l’« inaccessible pureté »appartenant déjà au monde divin. Ce dogme semble donc, pour beaucoup d'orthodoxes, totalement inutile et totalement contestable. Pour l'orthodoxie, par le "OUI" sans réserve ni hésitation, Marie est purifiée de la séparation avec Dieu, Elle devient la" Toute Pure", le parfait réceptacle. Elle devient par la même le modèle idéal du disciple.

  1. Conclusion.
Comme vous avez pu vous en rendre compte, tout au long de votre lecture, nous parlons tous du Christ, fils du Dieu vivant, avec bien souvent des approches communes mais aussi parfois des acceptations et des façons de vivre notre foi très différentes, parfois radicalement différentes. L'église orthodoxe et l'église catholique romaine professent que l'église du Christ est unique, et que cette unité  est déjà réalisée. Sur la plus grande partie du dogme chrétien, leurs affirmations convergent. Le rapprochement a commencé avec les rencontres du pape Paul VI et du patriarche Athénagoras en 1967, et se poursuit afin de permettre une meilleure compréhension, un dépassement de nos contradictions, et d'envisager le rétablissement de la communion sacramentelle entre les deux églises.
 Il subsiste cependant des difficultés concrètes qui se situent principalement au niveau de l'ecclésiologie, de la doctrine trinitaire. La participation orthodoxe au mouvement œcuménique se fait dans un esprit missionnaire car « l'unité entre tous les chrétiens ne peut se réaliser que par le retour à la tradition commune et universelle de l'église ». 
On ne sait pas assez, que, pendant tout le premier millénaire chrétien, nos ancêtres se faisaient baptisés par triple immersion jusqu'à la fin du Moyen Âge, qu’ils multipliaient sur eux les signes de croix, en somme, qu’il n’y avait qu’un seul comportement chrétien dans toute la chrétienté. On ignore aussi une chose savoureuse : c’est que: les rois de France prêtaient serment sur un Evangile orthodoxe en slavon, apporté à Paris par Anne, fille du Grand Duc  Iaroslav, princesse de Kiev, lors de son mariage en 1044 avec le roi Henri Ier.

Pour notre Eglise occidentale de tradition orthodoxe, l’essentiel n’est pas d’occuper l’espace médiatique, ni de construire une institution centralisée et hiérarchisée, mais pour reprendre l’expression de Monseigneur Kallistos WARE, de devenir des « cellules eucharistiques vivantes ».


                                                                                             Père Jean Moïse




Pour aller plus loin je vous suggérerais les lectures suivantes :
Kallistos Ware :     « Approches de Dieu dans la tradition orthodoxe »
                              « L’orthodoxie, l'église 7 conciles »
Jean Meyendorff : « Unité de l'empire et divisions des chrétiens »


jeudi 3 mai 2012

Réincarnation et Christianisme suite


Les différentes conceptions philosophiques de l'existence humaine :
Nos conceptions de la vie, de notre vocation, du passage et de l'existence « post mortem » sont bien évidemment conditionnées par des a aprioris philosophiques  liés à notre attitude, et sont loin d'être universels et partagés par l'ensemble de l'humanité. Il me semble indispensable de mettre au clair les différents types de conception de l'homme qui sous-tendent ces valeurs. Sans nous lancer dans un discours magistral, il me semble essentiel de définir clairement, et simplement, ces différentes philosophies dans un bref aperçu typologie des métaphysiques principales.
La métaphysique est la partie de la philosophie qui s'occupe de l’être et des principes premiers. C'est en quelque sorte une protophilosophie. La métaphysique est ontologique, c'est-à-dire science de l'être en tant qu'être. La métaphysique se réfère à un « au-delà de la nature ».  Marie Madeleine Davy affirme que « la métaphysique appartient à un passé. Elle concerne aujourd'hui, non pas un petit nombre d'hommes, mais quelques rares initiés ». L'abbé Stéphane ne dit pas autre chose lorsqu'il affirme « l'homme moderne, dans sa grande majorité, est incapable de comprendre les théories métaphysiques. C'est pourquoi il se laisse fasciner si aisément par les théories néo spiritualistes qui ne sont que des contrefaçons et des perversions des doctrines traditionnelles ».
Faisons un catalogue rapide des quelques modèles métaphysiques réellement existants et des implications qui en découlent tant sur le plan philosophique qu’anthropologique. Finalement ces philosophies tournent au tour de quelques solutions, de quelques visions du monde. Globalement elles peuvent se classer en deux catégories : le monisme et le dualisme.
A-     Les systèmes monistes réduisent l’être à une seule réalité. Il convient de distinguer d'une part systèmes matérialistes selon lesquelles l'univers matériel serait le seul existant , et d'autre part les systèmes idéalistes selon lesquelles la substance unique serait divine, l'univers matériel n’en constituant qu'une émanation contingente,  le plus souvent mauvaise, parfois illusoire.
1) le matérialisme
Au commencement il y a la matière qui se débrouille seule pour produire les êtres vivants et les êtres pensants. Lorsqu'elle a fini son travail, tout retourne à la matière brute initiale ; il n'y a pas de Dieu, pas d'intelligence organisatrice. Tout se produit par hasard,  l’être premier étant la matière. Dans cette hypothèse la matière est donc éternelle, donc l'univers physique est inusable, immortel : c’est l’être lui-même. La question qui se pose est la suivante : si la matière est l'être premier, pourquoi n'est-elle pas restée ce qu'elle était ? Elle ne doit pas s’user, mais elle ne peut pas s'enrichir. Alors, comment peut-elle se donner une information qu'elle ne possédait pas.  Pour Karl Marx la matière est auto créatrice. Il s'agit d'un dogme matérialiste non démontré. Il explique par là que la matière peut s'enrichir en informations au cours du temps. L'astrophysique actuelle contredit cette théorie en affirmant que l'univers a commencé : théorie du bing-bang.
2) le panthéisme
Cette tradition affirme que c'est l'univers physique lui-même qui est divin, Dieu étant l’âme du monde. Incréé parce que divin, éternelle, inusable, c'est la conception de Spinoza : c'est une divinité immanente ne faisant qu'un avec la nature. Pour lui il y a unité de substances. Mais alors qu'en est-il des êtres que nous sommes ? Cette théorie n'a pas de réponse. Elle souffre d'une contradiction interne et s’oriente vers un athéisme ou alors vers un idéalisme.
3) Le monisme acosmique
C’est une métaphysique très ancienne, voir la plus ancienne. Elle se rencontre dans l'Inde ancienne. L’être est un, il est l'absolu, impersonnel et inconditionné. La multiplicité des individus n'est qu'une illusion, une apparence. Nous ne sommes qu'une modification de cette substance unique et divine. C'est donc une illusion que de nous imaginer que nous sommes des personnes distinctes les unes des autres. L'existence individuelle est illusoire. Nos expériences sont illusoires. Et cela va déboucher à terme sur la métempsycose, appelé encore réincarnation. Cette théorie implique qu'à un moment donné, une catastrophe apparait dans l'absolu pour qu'il en soit résulté cette apparence d'êtres multiples. Mais rien dans ses théories ne nous renseigne sur l'origine, la nature, la cause et le sens de cette catastrophe, de cette chute de l'absolu dans la matière.
B-      Les systèmes dualistes.
Ce sont des explications selon lesquelles il existe deux  réalités : l'univers physique dont la   substance objective n'est pas niée,  et le divin qui en est la source et peut comprendre un ou plusieurs dieux selon les différents systèmes.
1)      Les systèmes dualistes de type théosophique et gnostique. Ils affirment qu'il y a eu une tragédie au sein de l'absolu antérieure à l'univers physique. Cette tragédie est première. En général le point de départ est un chaos originel suivi souvent d'un combat entre les dieux. Dans tous ces systèmes il y a un Dieu inconditionné et impersonnel qui précède des divinités personnelles souvent un Dieu bon et un Dieu mauvais. Nous rencontrons souvent le thème de la pré- existence et de la chute des âmes dans le corps considéré comme mauvais, dans un monde mauvais, dans une matière mauvaise. Ce mal est antérieur à l'existence concrète de l'univers. Le corps mauvais est considéré comme la prison des âmes divines. Cette tradition postule le combat de deux principes divinisés, le bon et le mauvais, le mauvais étant le créateur de l'univers physique et le responsable de l'emprisonnement des âmes dans le corps. Cette conception se rencontre dans le catharisme, le manichéisme, etc.

2)      la métaphysique de la création
C’est la métaphysique judéo-chrétienne qui prétend que l'univers existe bel et bien  et qu'il est bon car Dieu dit : « cela est bon ». Mais cet univers n'est pas autosuffisant : il dépend d'un Autre : le créateur, Dieu, a créé l'univers à partir de rien, et il est distinct de son univers, de sa création. Ayant créé l'univers, Il ne s'en désintéresse pas mais opère d'une manière actuelle et continuelle, car sa création n'est pas achevée. Pour les juifs puis pour les chrétiens, c'est la parole créatrice de Dieu qui opère dans l'univers dont il est rigoureusement distinct à l'inverse logos immanent des stoïciens qui constituait la note du monde. Pour nous le logos est certes divin et immanent mais il est également transcendant. Cette création n'affecte en rien le caractère absolu de Dieu. Rien ne le contraint à créer le monde. Il s'agit d'un don libre et  désintéressé car pour lui l'acte de créer et l'acte d'aimer ne font qu'un.
Dans les théories précédentes, le but de notre vie et de nous faire retourner à l'unité dont nous serions exilés par l'illusion. Il s'agit d'une mystique de fusion. Alors que pour nous il n'est pas question de retourner à l'origine, de réintégrer une quelconque unité originelle : il s'agit de nous unir à Dieu, mais sans confusion ni des personnes, ni des natures. L'existence individuelle subsiste, elle n'est pas abolie mais au contraire exaltée. Il s'agit ici d'une mystique de l'union et non de fusion. Il est ici question de naître de nouveau, de naître d'en haut. Il est indispensable de rappeler que, pour nous, l'âme humaine n'est pas divine à l'origine, elle n'est pas incréée,  qu'elle ne préexistait pas au corps car en réalité, c'est elle, qui forme et  constitue le corps organisé et vivant. Sa vocation est divine, non par nature ou par essence, mais par vocation et par Grâce. Il est important de rappeler que Dieu est, et restera, l'altérité absolue pour l'homme, quel que soit le niveau de réalisation spirituelle qu'il aura atteint.
Je pense que vous comprenez que ces différentes théories s'excluent mutuellement. Tout ceci nous montre la nécessité absolue de choisir un chemin, et de rejeter tout ce qui ne lui est étranger : « que mon oui soit oui,  et que mon non soit non » le choix d'un chemin exclu tout tourisme spirituel, et tout butinage parasite, et de s'éloigner d'un culte de l'homme plus ou moins déguisé et divinisé. En général l'homme moderne est incapable de vénérer et de reconnaître le Dieu fait homme. La présente humanité fabrique donc des dieux à sa taille. Il lui arrive même d'assimiler le Christ à l'un ou l'autre de ces « grands hommes ».

Christianisme et réincarnation
Suite et fin
Pour bon nombre de fidèles, tant orthodoxes que catholiques romains, la pensée sur la mort est souvent floue et peu consistante, peu structurée, bien plus sentimentale que tout autre chose. Le sens de la « solidarité vivants-défunts » leur fait souvent défaut et laisse souvent place à l'envahissante tristesse. Or comme le disait  Saint-Jean de Saint-Denis « la mélancolie est le plus grand péché dans le plan vital ».
Ce déficit de la pensée religieuse est en partie la conséquence « de l'épais matérialisme qui régna au 19e et XXe siècle essentiellement scientiste ».
Or la révélation biblique nous enseigne que ce monde a un commencement. Elle nous apprend aussi qu'il aura une fin. Cette révélation traverse toute la Bible : « je suis l'alpha et l'oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin » (Ap 1,8) ; dès l'Ancien Testament cela est posé (Gn 1,1). C'est confirmé par de nombreux prophètes (Isaïe, Joël, etc.).La conception judéo-chrétienne de l'histoire est linéaire et non pas cyclique. L'Ancien Testament affirme également que nous sommes appelés à ressusciter. La résurrection du Christ nous précise que c'est bien de la résurrection de la chair dont il s'agit. Cela n'a rien à voir avec la survie d'une âme dans le monde des idées selon Platon ou d'autres qui le sont. Saint-Paul appelle Jésus le « premier-né d'entre les morts » (Co 1,18). Il affirme que tout homme ressuscitera car «  ce que Dieu a créé à son image » ne peut retourner au néant. Dès l'Ancien Testament la prophétie d'Ezéchiel affirme cette résurrection.
Pour nous chrétiens, la mort est « contre nature », car Dieu a créé l'homme incorruptible, et Saint-Paul précise que « la mort est le salaire du péché », c'est-à-dire de notre éloignement de Dieu. Il est pour nous évident que la mort est « le lieu où Dieu n'est pas », tout comme l'enfer. Par contre celui qui vit en Christ « est caché avec le Christ en Dieu ».
Quant au jugement dernier, il n'a rien à voir avec le juridisme des hommes, car « Celui qui nous jugera, Lui, nous aime ». Ezéquiel affirmait déjà : « je ne veux pas la mort du pécheur, mais  qu'il se convertisse et qu'il vive ». Nous seront jugés par l'Amour et par la Vérité de Dieu, cela ne diminue pas notre responsabilité pour toute notre vie. Par contre nous devons nous débarrasser de nos représentations juridiques. L'église a trop souvent abusé de la pédagogie de l'intimidation dans l'esprit d'un code pénal des plus impitoyables, oubliant «  l'abîme de la miséricorde de Dieu » or celle-ci est illimitée. « Seul l'homme, par un libre refus ou par révolte, peut s'opposer à cette miséricorde, et demeurer toujours dans la souffrance de son refus ». Nous pouvons expliquer ceci par l'attitude négative de celui « qui passe » face à son bilan.
Pour le père Alexandre Turincev « le problème de l'enfer est, de tous, le plus crucial. La conscience morale peut admettre l'enfer compris dans le sens un état de purification de l’âme, durable soit, mais pas éternel ». Saint-Jean Chrysostome disait dans un sermon pascal : « l'enfer a été frappé de mort lorsqu'il rencontra le Christ ». Dans le christianisme « la victoire sur les puissances de la mort »  au Golgotha et le cadavre « devenu source de vie », s'intègrent dans la conscience du croyant, le préparant au « passage du seuil » ; les poisons de destruction de l'individualité humaine sont alors neutralisés par la destruction de la mort. Nous pouvons affirmer que le Christ en croix agit comme un enseignant dans le subconscient des fidèles pendant leur vie terrestre et même après la naissance au ciel.
L'église orthodoxe ignore la distinction latine de l'enfer et du purgatoire. Elle prie pour tous les morts, et n'admet pas qu’il y en ait qui soient dès maintenant damnés pour toujours. Certes le salut est personnel, et je suis responsable devant Dieu de ma vie. Mais cela n'exclut pas la solidarité entre tous les êtres créés : les membres de l'église qui luttent dans ce monde, et ceux qui sont déjà récompensés dans l'autre, font partie du même corps. C'est ce que nous appelons « la communion des saints ». Tous sont appelés à une nouvelle vie car la prière du juste peut obtenir le pardon du pécheur même si celui-ci est déjà défunt.
Vous avez compris, que pour nous, les fidèles qui sont « nés au ciel » sont vivants, non plus dans notre continuum spatio-temporel, mais sous d'autres modalités. Il est donc tout à fait naturel de prier pour eux, ainsi que d'être convaincu qu’eux aussi peuvent nous aider. Après la naissance au ciel de l'un des nôtres, nous prions pour lui pendant 40 jours, et en faisons mémoire dans les litanies et les dyptiques. La quarantaine est le temps de la pénitence, du pardon, de la guérison et du retournement, la théchouva, pour nos frères juifs et la métanoïa pour les Grecs. Rappelons-nous les 40 jours de Jésus dans le désert, les 40 jours de Carême ou de l'Avant, les 40 ans du peuple élu dans le désert.
Dans nos liturgies, cette collaboration des élus et des vivants est toujours présente : lors de l'entrée, le prêtre demande à Dieu que son entrée « dans le Saint des Saints soit aussi celle de Tes esprits incorporels » (hiérarchies angéliques et tous les saints). Dans les litanies nous prions pour tous, et pour toute la création. Nous prions même pour ceux qui refusent la Grâce de Dieu. Nous prions en communion avec les hiérarchies célestes et tous les saints : « avec eux nous offrons nos prières pour tous ceux qui nous ont précédé dans la paix du seigneur, depuis Adam jusqu'à nos jours ».
Cette action,  concertée des vivants, de ceux qui sont passés, et les hiérarchies angéliques, se retrouve  également dans les vêpres et l’Office des défunts du 2 novembre. Nous prions pour sauver de la damnation « tout et tous ». Puis nous demandons au Seigneur de suppléer, par les larmes des vivants, l'insuffisance des œuvres des morts. Le chant d'introduction de l'Office des défunts nous donne les conditions de cette vie nouvelle : « Donne lui Seigneur, le repos éternel, et que brille à jamais sur lui la lumière ». Le défunt quitte, harassé de peine, un monde de ténèbres, la nuit de l’être, et il entre dans la Lumière. Il  « passe » du temps qui s'écoule au Présent. Nous avons tous vécu, à un moment ou à un autre, des instants à propos desquels nous avons pu dire : « il semble que le temps s'est arrêté ». Ces expériences nous donnent une vague idée de ce que peut-être ce Présent. Cette libération dynamique de l’être nous fait entrer dans la Lumière et le Présent : c'est « la Présence ». C'est le temps de la Grâce. C’est le lieu où les élus se nourrissent de Dieu et Le respire. Et là tout est chanté  ou psalmodié. Car c'est cela notre vocation: « être des chantants ». Pour nous chrétiens, la création est une majestueuse liturgie, et son mouvement naturel est « de chanter Dieu en sachant qu'elle Le chante ».





lundi 13 février 2012

« La réincarnation »
   Chers Frères et Sœurs, nous marchons vers le point culminant de notre foi : la semaine Sainte et la Fête de Pâques, la mort et la résurrection de Notre Seigneur Jésus Christ, point d’orgue de son incarnation.
   En ces temps où la pensée new-âge et le syncrétisme remplacent l’esprit de synthèse, bouscule, et dépèce les systèmes religieux existants, il me parait indispensable de faire le point sur le sujet de la transmigration des âmes et de « leur réincorporation » (réincarnation).
   Je propose donc à votre réflexion un résumé que je fis d’un cours de Saint Jean de Saint Denis qu’il donna le 13 janvier 1970.
   Cette antique croyance de la transmigration, nous est venue des Indes. Elle s’épanouit par l’intermédiaire de la Théosophie fondée par Mme Blavatsky, et se diffusa dans de nombreux pays. Cette personne croyait en l’Esprit, mais non au Dieu créateur, son mouvement vint « en réaction d’un 19 ème siècle matérialiste, horizontal et moral ». Une chose est assez curieuse: c'est que cette dame avait commencer par refuser d'admettre la réincarnation d'une façon générale.Dans "Isis unveiled" elle envisageait seulement un certain nombre de cas d'exception.Par exemple un être qui, n'étant plus réellement soumis à la mort , continuerait, pour certaines raisons, son existence terrestre en utilisant successivement plusieurs corps différents. Mais cela se situe en dehors de l'humanité ordinaire!. Ce phénomène donna naissance à un schisme: « l’anthroposophie » de Steiner  qui réintroduit le Christ, et une certaine notion de Dieu. Puis déferla l’importante vague de l’hindouisme qui se propagea, même en milieu chrétien, auprès de ceux qui se sentaient mal à l’aise avec le « juridisme et l’injustice chrétienne » de nos misères. Le nouveau discours prend le contre pied : « Vous êtes malheureux, oui, mais vous faites des expériences, vous rachetez votre passé, et, peu à peu, vous vous élevez vers la libération totale ».                                                                                             Le 2ème argument  en faveur de la réincarnation est l’expérience de ceux qui, tout à coup, ont la connaissance d’un pays, d’une époque, de personnages qui leur étaient inconnus, et qui d’un coup se sentent comme ayant déjà vécu ces expériences.
   Il est bon de préciser que la religion égyptienne n’acceptait pas la transmigration, de même que la Perse, les Celtes « qui ont parfois trois vies, mais c’est différent.. », sans parler de l’Islam.
   Son succès auprès de gens « exigeants en justice », et donc rejetant « l’injustice » de la conception romaine : « si tu ne communies pas, tu iras en enfer ; hors de l’Eglise, point de salut ».
   « Pour nous, Saint Siméon le nouveau théologien affirme : Il faut mourir pour renaître, et nous naissons pour mourir . Là se révèle la dialectique du monde dans le péché, hors du péché, et dans le salut. La mort, que nous connaissons est une caricature de la qualité sublime qu’est la  Kénosis , le dépouillement ».
   Monseigneur Jean, avec toute la tradition, précise que « le corps et la matière sont éternels « EN SOI ». La mort est venue d’une déviation, elle est la conséquence de la chute, tout comme la maladie ou la vieillesse. « In principio» toute la création est immortelle »!
   Vous comprendrez alors que la réincarnation ne contient pas le mystère de la naissance et de la mort. Ce n’est qu’un esprit entrant dans le corps, comme le bernard l’hermite qui quitte une coquille trop petite pour habiter une coquille plus grande ! Il n’y a pas d’incarnation au sens plein du terme, car l’on ne fait qu’endosser une nouvelle enveloppe.
   Il n’y a plus de personne, mais pour nous, « Dieu nous appellera  par notre nom », principe de « l’union sans confusion ». Parmi la multitude de noms que nous serions supposés avoir habité, au cours des réincarnations successives, lequel choisira-t-il ? « La réincorporation est la négation des épousailles de Dieu avec sa créature, avec sa création, et par voie de conséquence, d’avec sa résurrection ».
   Tout le mystère, tout le fondement de notre foi est absent de la réincarnation, car dans la conception bouddhiste la matière et notre vie ne sont qu’illusions et « la libération consistera à abandonner le monde, à le laisser s’évanouir afin que demeure seulement l’esprit ».
   Ces remarques expliquent le comportement des fidèles de l’hindouisme, religions qui dérive du védisme, et doivent tempérer le jugement psychosociologique que nous, occidentaux, portons sur cette société. Pour elle, la naissance dans une caste déterminée n’est pas le fruit du hasard. Le poids des actes accomplis dans les existences antérieures, détermine la place  dans la hiérarchie des naissances. Ainsi l’inégalité est-elle ressentie, non comme une injustice, mais comme la marque de l’ordre universel. Nous n’avons donc pas à intervenir, à faire irruption pour sauver ceux qui affrontent des difficultés, car nous les empêchons de racheter leurs erreurs passées, et de progresser vers un état de pureté, et de là, vers la délivrance.
   Pour nous, chaque être humain (corps, âme et esprit) est unique, nommé et appelé par Dieu. Et même si l’homme ne s’était pas éloigné de Dieu, « nous pouvons affirmer que le Christ se serait, malgré tout, incarné, parce que Dieu est devenu homme afin que l’homme devienne Dieu. Il n’y aurait point d’amour de Dieu s’Il ne s’était pas uni à celui qu’Il aime ».
   Pour nous qui nous sommes éloignés de lui, nous sommes devenus des « demi-morts, demi-vivants ». C’est pourquoi nous « mourons dans le baptême afin de ressusciter pour l’éternité ».
   « Accepter la réincorporation  supprime la valeur absolue de la création qui ne devient qu’une apparence ou un instrument, un parapluie, un chapeau, un habit » : une coquille vide en quelque sorte. Naturellement nous venons sur terre chargés d’un passé, « car en Adam, nous avons péché, mais en Christ nous sommes sauvés ». Ce profond « en biblique », signifie que « j’étais en Lui ». Oui, nous étions tous en Adam d’une certaine manière ! Nous ne naissons pas seulement que « fils de papa ou de maman », membre d’un arbre généalogique. Nous remontons tous jusqu’à Adam, car tous nos ancêtres ont informés notre ADN , et nous arrivons ici-bas, « chargé, combinés, mais participant à la  Communion des Saints ».              
   Nous tenons à préciser que "cette conception est populaire". Pour nombre de métaphysiciens traditionnels il est évident que " L'être véritable ne peut se manifester deux fois dans le même état". Cette impossibilité d'un retour au même monde " résulte de ce qu'il impliquerait une limitation de la multiplicité des mondes (ou états d'existences) et, par suite, une limitation de la Possibilité Universelle elle même" comme l'a écrit René Guénon, en 1936, à A.K. Coomaraswamy. La sagesse orientale ne dit-elle pas que "ce n'est jamais la même eau qui passe dans la rivière". René Guénon admet que quelque chose puisse se réincarner, mais que ce ne sont que des "éléments psychiques, qui n'ont rien à voir avec l'être véritable, et qui viennent s'intégrer dans la manifestation d'un autre être). Ce transfert de résidus individuels de type psychique explique " les prétendus cas de souvenirs de vie antérieure". Ces intrusions sont  facilitées par " les béances de l'être" lors d'expériences dangereuses au cours desquelles l'homme "oublie la garde de son corps et de son âme". 
Ce peut-être la consommation de drogues, les "voyages hors du corps plus ou moins organisés", et réalisés en dehors de tout cadre régulier, d'autres expériences de recherche de sensation ou de pouvoir, parfois une hyper sensibilité de la personne. 


                                                                        Père Jean Moïse

   

lundi 6 février 2012

Entrée dans le temps de préparation de Pâques

   Nous venons de célébrer Septuagésime, et sommes entrés dans le temps de la préparation de Pâques qui est le chemin vers la Mort et la Résurrection de Notre Seigneur Jésus Christ, et également vers notre propre mort et résurrection.
   Comme l’affirmait le Père Jacques Goettmann : « les trois têtes, et Pères des Alliances Premières, Adam, Noé, Abraham, nous sont donnés comme guides par notre Mère l’Eglise, pour cheminer vers le Royaume, et entrer, par la foi, l’espérance, et l’Amour, dans le mystère de la Divine Charité, "le Mystère dont l’Eglise est pleine : la Trinité » (Origène), le Mystère des trois personnes divines : le Père des lumières, le fils, et l’Esprit Saint, à qui sont le Règne, la Puissance et la Gloire ! Ce mystère dévoilé  dans la Théophanie du Jourdain, nous sera communiqué à Pâques et Pentecôte dans le Baptême, la Chrismation et l’Eucharistie. Le Carême est un chemin laborieux. La Septuagésime nous ouvre les yeux sur nos responsabilités personnelles envers la Vigne du Père, envers les semences du Fils et de l’Esprit, envers l’Offrande du Fils et des "fils de l’Arbre de la Croix" selon l'expression de Jacques Goettman. Le long exil septuagésimal et le jeûne quadragésimal (Carême) sont la germination de la Gloire Incarnée dans notre terre maternelle.