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Réflexions liturgiques et théologiques

mercredi 30 mai 2012

La Sainte Pentecôte


        Cette liturgie est célébrée avec les ornements liturgiques rouges, couleur du feu de l'Esprit Saint, et commence par les Tierces Royales. L'Office des  tierces fait  partie des petites heures monastiques, et est dédié au Saint Esprit. C’est saint Hugues, abbé de Cluny, qui décide d'enrichir l'Office de tierces de la Pentecôte par un cantique du 9ème siècle que la tradition attribue à Charlemagne. Cette tradition a semblée si belle que l'église l'a adoptée dans sa liturgie. Aux accents inspirés de ce cantique, nous nous recueillons, et appelons le Saint Paraclet qui «plane sur tous les temples de la chrétienté, et descend dans tous les cœurs qui l’attendent avec ferveur ». La première strophe de cet hymne, si tendre et si imposant, se chante toujours à genoux.
            Le Christ a toujours affirmé qu'il était venu accomplir les Ecritures. C'est le cas de la Pâque et de la Pentecôte. Les actes de Notre Seigneur Jésus-Christ respectent les rythmes et les temps de l'Ancien Testament. Moïse et le peuple d'Israël ont traversé la mer des joncs lors de la première Pâque. Le Christ a traversé la mort lors de la seconde Pâque. Puis après 7 semaines dans le désert, au 50e jour fut scellé, sur le Sinaï, l'alliance de Dieu et de son peuple dans le tonnerre et les éclairs : première Pentecôte. Le 50e jour après la résurrection, l'Esprit Saint scelle à nouveau une nouvelle alliance en descendant, dans le tonnerre et les éclairs, sur les disciples et Marie la très sainte Mère de Dieu rassemblés dans la chambre haute : deuxième Pentecôte. Nous pouvons également faire le parallélisme entre la trahison du peuple qui avait suivi Moïse, et celle de saint-Pierre lors de la Passion de Notre Seigneur, ainsi que le doute de Thomas. Nous rappellerons également que 50 est le nombre du Jubilé. Dans les premiers temps de la vie en Terre Sainte, lors de la 50e année, étaient redistribués les « patrimoines ». Les psaumes disent en effet : « le cordeau m'a donné la part la meilleure ». Cette 50e année était une année sabbatique. Elle signe un nouveau départ, en quelque sorte une nouvelle création. Il en est de même pour les 50 jours de la Pentecôte : 49 qui résultent de l'exaltation du sept (7 × 7), le 7 étant le nombre divin de la création, auquel s'ajoute l'unité (1) : signe d'un retour à l'unité, d'un nouveau départ, une nouvelle création. La première Pentecôte du mont Sinaï a fait d'Israël le peuple élu. Il devait donc y avoir une seconde Pentecôte pour tous les peuples, comme il y avait eu une seconde Pâque pour le rachat du genre humain.
Après l'Ascension, les disciples de Notre Seigneur « montèrent dans la chambre haute… Tous d'un même cœur, était assidu à la prière », précise les Actes des apôtres qui rappellent que Jésus « leur prescrivit de ne pas quitter Jérusalem, mais d'attendre la promesse du Père : celle que vous avez entendue de moi : Jean vous a baptisé avec de l'eau, mais vous, c'est dans l'Esprit Saint que vous serez baptisés». Ainsi, les apôtres pourront répondre à la mission voulue par le seigneur et précisée par Mathieu (28,19-20) :   « allez donc, enseigner toutes les nations… ».
L'Esprit Saint promis par Jésus, et qui descend sur les apôtres en ce jour, c'est le même Esprit qui était descendu dans le feu du Sinaï pour graver la Torah qui fit d'Israël un peuple. En ce jour les dons qu’Il nous a donnés à profusion vont constituer l'Eglise, que les Actes définissent comme « une multitude de croyants n'ayant qu'un cœur et une âme ». Cet envoi de l'Esprit Saint est inséparable du Christ qui est « porteur de l'Esprit Saint ». Olivier Clément dit à ce propos : « l'Esprit est cette puissance que nous pouvons en quelque sorte assimiler par notre souffle, si notre souffle se fait porteur de Dieu », car le souffle Saint produit une véritable résurrection de notre âme mort, pour la Vie en Christ.
Avec l'Ascension s'achève la présence historique du seigneur, mais sans la Pentecôte, elle resterait sans effet dans notre vie. La Pentecôte actualise le sens de la création et de l'incarnation : c'est le commencement de la Vie en Christ dans le feu du Saint Esprit. Par l'Esprit Saint, Marie enfante à nouveau. Cette fois-ci c'est la Sainte Eglise qui est mise au monde et que Marie a charge de nourrir et de protéger. Ce jour est la fête de tous les baptisés en Christ, ces hommes et ces femmes priant les uns pour les autres. L'Esprit Saint est à l'œuvre dans notre monde, en attendant le retour en gloire du Christ, et comble l'Eglise de ses dons, de ses charismes, et remplit les cœurs de joie et de vie débordante. Ces charismes sont complémentaires les uns des autres comme le dit saint Paul dans la première épître aux corinthiens (12,4-11).

samedi 19 mai 2012

Ce qui nous différencie de nos autres frères chrétiens


  1. Introduction
Lorsque l'on parle de différence on pense d'abord au Filioque. Pour les orthodoxes, le Saint Esprit procède du Père (credo de Nicée Constantinople) alors que pour les catholiques, il procède du Père et du Fils (dès le 9ème siècle). Nous aborderons ce problème un peu plus tard.
Pour les orthodoxes, le mode de gouvernement de l'Eglise est fondé sur le rôle central de l’évêque, ce qui donne une organisation décentralisée. Pour les catholiques,  l'organisation est pyramidale, et l’autorité provient du pape, évêque de Rome. Il se considère, depuis le haut Moyen Âge, comme le vicaire du Christ successeur de Pierre qui, en quelque sorte, se survit en lui, et gouverne à travers lui l'église universelle. Lors du concile du Vatican (1870) le dogme de l'infaillibilité pontificale est pris relativement à la hâte. Certains auteurs relient cette décision à l'annexion des Etats pontificaux par Victor-Emmanuel. Le monde orthodoxe ignore totalement cette décision.
Une autre différence est celle de l'ordination des hommes mariés qui est d'usage en orthodoxie mais interdit dans le catholicisme romain. La règle du célibat des prêtres est adoptée lors du 4ème concile du Latran en 1216 (Innocent 3). Il ne faut pas confondre cet usage avec un « improbable mariage » de prêtres déjà ordonnés.
Nous ne traiterons pas des différences liturgiques. A ce sujet, nous vous conseillons l’ouvrage de Michel Mendez : « La messe de l’ancien rite des Gaules », pour une étude historique et critique, et « L’Eucharistie Sacrement du Royaume » d’Alexandre Schmemann pour une étude historique et symbolique.
Nous allons établir une rapide chronologie afin d'éclairer ces différences et de les replacer dans leur contexte.

  1. Bref rappel historique
Durant la période des origines, on concevait l'Eglise comme un ensemble d'églises locales en communion réciproque, chacune réalisant la totalité du mystère de l'Eglise, de même, aucune autorité particulière de droit divin n'était attribuée au siège métropolitain. L'Eglise de Rome ne faisait pas exception. Contrairement aux idées reçues, il n'existait qu'un seul Empire romain, ni oriental ni occidental, qui ambitionnait de « faire de l'univers divisé une seule cité ». Dès le 4ème siècle, cet Empire s'était doté peu à peu d'une culture spécifiquement chrétienne et universelle. Il a toujours gardé son unité constitutionnelle et spirituelle même lors de la parenthèse de 286 à 476 qui vit l'émergence de «  2 empires ».
Progressivement, les églises locales occidentales ont adopté le latin, abandonnant les langues locales et le grec. La conception de la primauté romaine sera peu à peu acceptée par tout l'Occident qui a tendance à calquer l'antique tendance à l'universalité romaine en l'appliquant à la "Rome chrétienne". Gélase 1er, pape de 492 à 496, va contester l'équilibre des 2 pouvoirs, ecclésiastique et impérial, en prônant un papo- césarisme qui subordonne le pouvoir temporel au pouvoir spirituel. Ce principe s'affirmera sous les carolingiens qui deviendront les protecteurs de l'église de Rome. Grégoire III fut le dernier pape qui ait demandé à l'empereur de Constantinople la confirmation de son élection. Ses successeurs notifieront la leur à la cour carolingienne, dont ils auront consacré l'usurpation des droits des mérovingiens. L'empire fondé par eux veut être l'unique et véritable « Empire chrétien universel ». Ce qui n’était pas le cas de Clovis et des rois mérovingiens qui régnèrent sur la plus grande partie de la Gaule et qui restèrent intégrés à la conception de l'Empire. Les carolingiens inciteront Rome à condamner la vénération des icônes et introduire le Filioque augustinien dans le symbole de la foi.
Le second point de divergence est d'ordre théologique. Il découle de la doctrine de saint Augustin. Ses réflexions marqueront profondément l'histoire de l'Occident chrétien mais les Eglises non latines ne les accepteront jamais. Les prises de position d'Augustin s'expliquent en grande partie par son parcours : d'abord manichéen puis néoplatonicien, il devint chrétien en 387 lorsqu'il fut baptisé à Milan par Saint Ambroise. Sa conversion l’a amené à valoriser les capacités de l'intelligence humaine en ce qui concerne la connaissance de Dieu et du mystère même de la Sainte Trinité. Cela l'amène à subordonner l'humain au divin mais sans le transfigurer. La transfiguration sera au contraire une constante du christianisme orthodoxe.
Ses a priori ont conduit Augustin à s'attacher aux analogies psychologiques du mystère trinitaire (mémoire-intelligence-amour) sont le reflet du père-fils-esprit). L'emploi de la « catégorie aristotélicienne de relation » pour définir les personnes divines, va l'entraîner à affirmer que le Saint Esprit procède du Père et du Fils comme d'un seul principe.
D'autres aspects de sa doctrine sont rejetés par la pensée orthodoxe : sa doctrine de la grâce et de la prédestination, entre autres, en sacrifiant le principe de la liberté humaine. Cela se retrouvera dans un certain protestantisme et le jansénisme. Sa doctrine du péché originel débouchera sur le dogme de l'Immaculée Conception.
Une certaine lecture de « la cité de Dieu » va conduire à une théocratie pontificale où toute autorité sera soumise au pape, souverain pontife. Nous pouvons dire que la lutte du sacerdoce et de l'empire, la théocratie et ses avatars ultérieurs, le cléricalisme et l'anticléricalisme qu'il a suscité, les causes profondes de la réforme protestante, certains aspects du gallicanisme du 17° siècle, les controverses sur la grâce et le jansénisme, sont  les conséquences de l'augustinisme et de sa problématique. Nous pouvons penser que tout cela a pour conséquence, également, la réduction de la vie spirituelle à une éthique sociale en relativisant les affirmations dogmatiques.
Toutes ces divergences seront avivées par la conquête et la mise à sac de Constantinople en 1204 par les armées croisées franques et germaniques. La rupture de l'unité spirituelle de l'Europe sera majorée par plusieurs facteurs :
·         L’expansion de l'islam, par la conquête de l'empire perse ainsi que les territoires des patriarcats d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem, va isoler l'Europe occidentale du reste de l'empire et recentrer le pouvoir vers le nord de celui-ci.
·         Les invasions slaves détruisirent presque toute trace du christianisme et de romanité dans les régions balkaniques obligeant les populations chrétiennes à se réfugier dans les montagnes.
·         L'empire carolingien et la papauté vont ignorer ces drames vécus par l'empire byzantin, ce qui augmentera encore la scission entre l'Orient et l'Occident, tout comme l'utilisation par le pape Nicolas Ier de faux décrets attribués aux papes antérieurs.

  1. Le Filioque.
L'origine de cette conception se trouve dans l'enseignement de Saint-Ambroise qui a écrit : « car de même que le Fils nait du Père, de même l'Esprit Saint procède du Père et du Fils » mais surtout dans celui du bienheureux Augustin qui affirme la procession du Saint Esprit par le Père et le Fils dans de nombreux passages de ses écrits et principalement dans le « De Trinitate ». On reparle de cette addition au concile de Tolède en 585. Charlemagne l'appuya au synode d'Aix-la-Chapelle, mais le pape Léon III refusera cette proposition. Elle sera reconnue  sous le pontificat de Nicolas Ier ; on peut dire que cette décision va consacrer la séparation entre les églises d'Orient et d'Occident. Elle ne fut définie comme dogme qu'au concile de Lyon en 1274.
Bien évidemment les églises non latines la rejetèrent comme une altération de la foi apostolique. Pour nombre de théologiens orthodoxes le Filioque « détruit la délicate balance entre l'unité et la diversité dans la Divinité. Il subordonne l'Esprit au Fils sans prêter assez d'attention au rôle de l'Esprit dans le monde, dans l'Eglise et dans la vie quotidienne de chaque chrétien. Il accentue l'unité de Dieu aux dépens de la diversité. L'unité dans l'Eglise romaine a triomphé, de même sur la diversité, d'où le centralisme et l'excès d'autorité papale. » (Jean BIES : Dans "les Spiritualités comme Voies de Salut et de Délivrance, face aux "spiritualismes" contemporains").
Il nous semble évident que Charlemagne a imposé cette modification pour des raisons strictement politiques afin de rompre ainsi avec l'empire d'Orient. Quant à l'église romaine, elle justifiait ainsi le pouvoir de "souverain spirituel" du pape en le faisant « distributeur de la grâce du Saint Esprit », qui est pour elle, « l'Esprit du Christ « et qui « procède du Christ ». L'église d'Orient garde tout au contraire la foi dans l'indépendance de la grâce du Saint Esprit qui ne procède que du Père seul.

  1. Théologie
       Jusqu’au XIe siècle les théologiens occidentaux appartiennent encore à l'univers des Pères de l'Eglise et restent proches de la tradition orthodoxe. Mais progressivement le caractère trop scolaire et abstrait, pris par la théologie dogmatique dans les universités occidentales à partir du XIIIe siècle, s'écarte de la pensée orthodoxe en introduisant une dissociation entre « théologie et spiritualité ». La démarche occidentale, progressant par des constructions logiques, et par des  affirmations successives (cataphatique), s'éloigne de la tradition orientale. Celle-ci n'est pas intellectualiste, mais plutôt intellective, car avant tout soucieuse de conserver son rapport avec la transparence « supra mentale », selon Grégoire Palamas qui affirmait que « toute parole conteste une autre parole »., Ce qui est privilégié en orthodoxie, plutôt que la spéculation, c'est la mise en pratique par la liturgie et la prière, l'expérience intérieure.
La démarche orthodoxe préfère la voie négative, ou apophatique, ainsi que la voix paradoxale : l’antinomisme. Ce sont « deux échardes insupportables dans la chair du rationalisme » qui ne peut procéder que par affirmations successives ou oppositions catégorielles. Vladimir Lossky écrit « la vraie trame de la tradition de l'Eglise d'Orient procède inversement, et par toute une série d'éliminations, de soustractions, de réticences, retire à la divinité tout ce qui la recouvre d’écorces, de surcharges, et ne relève pas d'elle intrinsèquement. » Clément d'Alexandrie remarque « nous pouvons atteindre Dieu non pas dans ce qu'il est, mais dans ce qu'il n'est pas ».
Si l’apophase décourage le mental en insistant sur son impuissance à régner, l'antinomie le décourage en le crucifiant entre ces larrons qui sont les opposés. Pour la première ce n'est « ni ceci ni cela », pour la seconde ce sera « et ceci et cela ». Le "tiers inclus" a toujours habité cette tournure d'esprit. Pour Maxime le Confesseur «  rien de dit, ni rien de non-dit  ne peut approcher Dieu... Il se situe en réalité au-delà de toute affirmation comme de toute négation ». Pour l'orthodoxie le principe divin se situe au-delà même de la conciliation des contraires.

  1. « Ce que n'est pas l'orthodoxie ».
Restons donc dans une approche apophatique... La tradition chrétienne orientale n'est pas :
  • Historienne. Ce qui compte d'abord pour elle, c'est ce qu'enseignent la Sainte Ecriture et la tradition. Ce qui l'intéresse c'est l'acception dans la vie du Christ beaucoup plus que la vie de l'homme Jésus, le Christ historique, c'est avant tout Son enseignement et Sa mission.
  • Doloriste. L’imitation de la passion, la dramatisation des souffrances du sauveur lui demeurent anecdotiques. Ce que cette tradition contemple dans son humanité, c'est l'archétype de l'Humanité adamique, et dans la croix, c'est l'arbre de vie. « Elle ne saigne pas du tragique humain, mais rayonne de la joie pascale ».
  • Transformiste. Tout a été proclamé, une fois pour toutes, dans les deux Testaments, précisé par les sept premiers Conciles Œcuméniques, résumé par le symbole de foi de Nicée Constantinople. Cette tradition considère que la Vérité ne saurait progresser ou varier, et que le seul moyen de l'actualiser, de la perpétuer, c'est de la vivre ( avec tout ce que cela implique d'exégèse et de réflexion contemporaine". Il en est de même pour le respect du symbolisme liturgique. Ainsi de l'orientation de l'autel. Pour les Orthodoxes Il est inconcevable que le célébrant tourne le dos à l’Orient. L’Orthodoxie y voit une rupture des plus subversives avec le cheminement qui mène des ténèbres à la lumière, une inversion caractérisée du symbolisme spatial. 
  • Prosélyte. Notre position dans ce domaine c'est "venez et voyez" comme dans l'Evangile de Jean, cela implique un dialogue constant avec les autres ainsi qu'un partage chaleureux. Mais cette attitude n'accepte évidemment pas de compromis.
  • Dualiste. Depuis l'Incarnation, les corps des baptisés sont devenus « temples de l'Esprit Saint ». Se séparant ici de Platon, les Pères réhabilitent la matière. C'est là, dans les corps sanctifiés par les sacrements, que s'établit le « sanctuaire de Dieu ». Le « Royaume est en vous ». Lors de la liturgie clercs et laïcs communient sous les deux espèces selon l’injonction du Christ car ils appartiennent tous deux au « sacerdoce royal » qui fait que tout homme est « prêtre de son existence ». Il n'y a pas, non plus, d'opposition absolue entre l’Incréé et le créé, comme en témoigne l'apparition du Christ aux trois disciples sur le Mont Thabor.
  1. Le péché originel et la conception du salut.
La chute de l'homme a eu pour cause un acte libre et volontaire. Par orgueil, l’homme se voulut comme Dieu, et perdit donc toute relation immédiate avec le seul Dieu. Cette désobéissance originelle entraînait également la chute de la nature tout entière. Le péché et le mal viennent de la non observation des lois de Dieu. Saint Basile disait que « le péché est le seul mal réel ». Le seul remède est le retour vers Dieu. Pour les catholiques romains cela ne peut se faire que par un don gratuit de Dieu seul. Pour les orthodoxes c'est par la Grâce Divine et l'acceptation du Salut par l'homme : un retour volontaire de l'homme vers Dieu. Comme l'a écrit Pierre Kovalevsky :
« La différence entre les deux conceptions est donc radicale. L'orthodoxie croit que la nature créée était bonne en elle-même, et qu'elle était inclinée vers le Bien. Elle a été corrompue par l'orgueil et la désobéissance des premiers hommes. Une transformation de la nature ainsi qu’un retour libre et volontaire de l'homme vers Dieu est indispensables. Selon Saint-Macaire « tout ce que l'homme a fait de saint ici-bas l'accompagnera dans l'autre vie et lui donnera la vie éternelle ». Selon la doctrine catholique romaine l'homme avait, avant le péché originel, une vie naturelle et une vie surnaturelle. Il perdit, par le péché, la vie surnaturelle et toutes ses faveurs. Elles lui sont rendues gratuitement à cause des mérites de Jésus-Christ, à condition de rester en état de grâce et de.ne.pas.commettre.de.péché.mortel. Pour l'orthodoxie l'état sans péché mortel n'est qu'un état neutre qui ne suffit pas pour le salut.
                  
Depuis Martin Luther, les chrétiens réformés (protestants) pensent que la chute de l'homme a été définitive, irrémédiable. Il n'y a plus de relation possible entre le fini et l'infini, entre le naturel et le surnaturel. La rédemption ne peut venir que d'un acte miséricordieux de Dieu, moyennant la Foi.
Le jansénisme est plus pessimiste encore, quant à la nature humaine, que le protestantisme. La tragédie humaine consiste, selon lui, en ce que Dieu ne veut pas le salut de tous ses enfants.
L'orthodoxie croit que Dieu veut le salut de tous, et qu’il ne dépend que de l'homme de répondre à l'appel divin : Dieu vient à nous par Son Fils qui nous donne la possibilité du salut et la plénitude de la Vérité, mais pour être sauvé, il faut un acte libre d'acceptation et une transfiguration de la vie par la grâce du Saint Esprit. ».
Si le protestant ne se sent pas responsable de son salut, si le catholique ne porte cette responsabilité que dans une certaine mesure, l'orthodoxe se sent pleinement responsable de son salut et de sa damnation. Le but de l'homme est dans la transformation de sa nature humaine pour qu'elle puisse voir Dieu, et vivre dans sa communion constante. La voie du salut, pour un orthodoxe, consiste en un travail continu de purification qui le rapproche de Dieu. La foi est le moyen qui ouvre la voie du salut, mais elle n'est pas un but en soi, elle n'est que le commencement du chemin spirituel.
La doctrine de l'Immaculée Conception est une des conséquences de la théorie catholique du péché originel. Elle n'est pas acceptée par l'orthodoxie parce qu'elle constitue une rédemption partielle, et qu'elle est contraire à la doctrine de la liberté dans le Salut. Par la même, elle n'accepte pas l'acte d'obéissance qui est nécessaire pour notre rédemption. Si Marie la Vierge est conçue en dehors du « péché originel », quelle est sa proximité avec nous pauvres humains ? Par ce dogme elle est devenue l’« inaccessible pureté »appartenant déjà au monde divin. Ce dogme semble donc, pour beaucoup d'orthodoxes, totalement inutile et totalement contestable. Pour l'orthodoxie, par le "OUI" sans réserve ni hésitation, Marie est purifiée de la séparation avec Dieu, Elle devient la" Toute Pure", le parfait réceptacle. Elle devient par la même le modèle idéal du disciple.

  1. Conclusion.
Comme vous avez pu vous en rendre compte, tout au long de votre lecture, nous parlons tous du Christ, fils du Dieu vivant, avec bien souvent des approches communes mais aussi parfois des acceptations et des façons de vivre notre foi très différentes, parfois radicalement différentes. L'église orthodoxe et l'église catholique romaine professent que l'église du Christ est unique, et que cette unité  est déjà réalisée. Sur la plus grande partie du dogme chrétien, leurs affirmations convergent. Le rapprochement a commencé avec les rencontres du pape Paul VI et du patriarche Athénagoras en 1967, et se poursuit afin de permettre une meilleure compréhension, un dépassement de nos contradictions, et d'envisager le rétablissement de la communion sacramentelle entre les deux églises.
 Il subsiste cependant des difficultés concrètes qui se situent principalement au niveau de l'ecclésiologie, de la doctrine trinitaire. La participation orthodoxe au mouvement œcuménique se fait dans un esprit missionnaire car « l'unité entre tous les chrétiens ne peut se réaliser que par le retour à la tradition commune et universelle de l'église ». 
On ne sait pas assez, que, pendant tout le premier millénaire chrétien, nos ancêtres se faisaient baptisés par triple immersion jusqu'à la fin du Moyen Âge, qu’ils multipliaient sur eux les signes de croix, en somme, qu’il n’y avait qu’un seul comportement chrétien dans toute la chrétienté. On ignore aussi une chose savoureuse : c’est que: les rois de France prêtaient serment sur un Evangile orthodoxe en slavon, apporté à Paris par Anne, fille du Grand Duc  Iaroslav, princesse de Kiev, lors de son mariage en 1044 avec le roi Henri Ier.

Pour notre Eglise occidentale de tradition orthodoxe, l’essentiel n’est pas d’occuper l’espace médiatique, ni de construire une institution centralisée et hiérarchisée, mais pour reprendre l’expression de Monseigneur Kallistos WARE, de devenir des « cellules eucharistiques vivantes ».


                                                                                             Père Jean Moïse




Pour aller plus loin je vous suggérerais les lectures suivantes :
Kallistos Ware :     « Approches de Dieu dans la tradition orthodoxe »
                              « L’orthodoxie, l'église 7 conciles »
Jean Meyendorff : « Unité de l'empire et divisions des chrétiens »


jeudi 3 mai 2012

Réincarnation et Christianisme suite


Les différentes conceptions philosophiques de l'existence humaine :
Nos conceptions de la vie, de notre vocation, du passage et de l'existence « post mortem » sont bien évidemment conditionnées par des a aprioris philosophiques  liés à notre attitude, et sont loin d'être universels et partagés par l'ensemble de l'humanité. Il me semble indispensable de mettre au clair les différents types de conception de l'homme qui sous-tendent ces valeurs. Sans nous lancer dans un discours magistral, il me semble essentiel de définir clairement, et simplement, ces différentes philosophies dans un bref aperçu typologie des métaphysiques principales.
La métaphysique est la partie de la philosophie qui s'occupe de l’être et des principes premiers. C'est en quelque sorte une protophilosophie. La métaphysique est ontologique, c'est-à-dire science de l'être en tant qu'être. La métaphysique se réfère à un « au-delà de la nature ».  Marie Madeleine Davy affirme que « la métaphysique appartient à un passé. Elle concerne aujourd'hui, non pas un petit nombre d'hommes, mais quelques rares initiés ». L'abbé Stéphane ne dit pas autre chose lorsqu'il affirme « l'homme moderne, dans sa grande majorité, est incapable de comprendre les théories métaphysiques. C'est pourquoi il se laisse fasciner si aisément par les théories néo spiritualistes qui ne sont que des contrefaçons et des perversions des doctrines traditionnelles ».
Faisons un catalogue rapide des quelques modèles métaphysiques réellement existants et des implications qui en découlent tant sur le plan philosophique qu’anthropologique. Finalement ces philosophies tournent au tour de quelques solutions, de quelques visions du monde. Globalement elles peuvent se classer en deux catégories : le monisme et le dualisme.
A-     Les systèmes monistes réduisent l’être à une seule réalité. Il convient de distinguer d'une part systèmes matérialistes selon lesquelles l'univers matériel serait le seul existant , et d'autre part les systèmes idéalistes selon lesquelles la substance unique serait divine, l'univers matériel n’en constituant qu'une émanation contingente,  le plus souvent mauvaise, parfois illusoire.
1) le matérialisme
Au commencement il y a la matière qui se débrouille seule pour produire les êtres vivants et les êtres pensants. Lorsqu'elle a fini son travail, tout retourne à la matière brute initiale ; il n'y a pas de Dieu, pas d'intelligence organisatrice. Tout se produit par hasard,  l’être premier étant la matière. Dans cette hypothèse la matière est donc éternelle, donc l'univers physique est inusable, immortel : c’est l’être lui-même. La question qui se pose est la suivante : si la matière est l'être premier, pourquoi n'est-elle pas restée ce qu'elle était ? Elle ne doit pas s’user, mais elle ne peut pas s'enrichir. Alors, comment peut-elle se donner une information qu'elle ne possédait pas.  Pour Karl Marx la matière est auto créatrice. Il s'agit d'un dogme matérialiste non démontré. Il explique par là que la matière peut s'enrichir en informations au cours du temps. L'astrophysique actuelle contredit cette théorie en affirmant que l'univers a commencé : théorie du bing-bang.
2) le panthéisme
Cette tradition affirme que c'est l'univers physique lui-même qui est divin, Dieu étant l’âme du monde. Incréé parce que divin, éternelle, inusable, c'est la conception de Spinoza : c'est une divinité immanente ne faisant qu'un avec la nature. Pour lui il y a unité de substances. Mais alors qu'en est-il des êtres que nous sommes ? Cette théorie n'a pas de réponse. Elle souffre d'une contradiction interne et s’oriente vers un athéisme ou alors vers un idéalisme.
3) Le monisme acosmique
C’est une métaphysique très ancienne, voir la plus ancienne. Elle se rencontre dans l'Inde ancienne. L’être est un, il est l'absolu, impersonnel et inconditionné. La multiplicité des individus n'est qu'une illusion, une apparence. Nous ne sommes qu'une modification de cette substance unique et divine. C'est donc une illusion que de nous imaginer que nous sommes des personnes distinctes les unes des autres. L'existence individuelle est illusoire. Nos expériences sont illusoires. Et cela va déboucher à terme sur la métempsycose, appelé encore réincarnation. Cette théorie implique qu'à un moment donné, une catastrophe apparait dans l'absolu pour qu'il en soit résulté cette apparence d'êtres multiples. Mais rien dans ses théories ne nous renseigne sur l'origine, la nature, la cause et le sens de cette catastrophe, de cette chute de l'absolu dans la matière.
B-      Les systèmes dualistes.
Ce sont des explications selon lesquelles il existe deux  réalités : l'univers physique dont la   substance objective n'est pas niée,  et le divin qui en est la source et peut comprendre un ou plusieurs dieux selon les différents systèmes.
1)      Les systèmes dualistes de type théosophique et gnostique. Ils affirment qu'il y a eu une tragédie au sein de l'absolu antérieure à l'univers physique. Cette tragédie est première. En général le point de départ est un chaos originel suivi souvent d'un combat entre les dieux. Dans tous ces systèmes il y a un Dieu inconditionné et impersonnel qui précède des divinités personnelles souvent un Dieu bon et un Dieu mauvais. Nous rencontrons souvent le thème de la pré- existence et de la chute des âmes dans le corps considéré comme mauvais, dans un monde mauvais, dans une matière mauvaise. Ce mal est antérieur à l'existence concrète de l'univers. Le corps mauvais est considéré comme la prison des âmes divines. Cette tradition postule le combat de deux principes divinisés, le bon et le mauvais, le mauvais étant le créateur de l'univers physique et le responsable de l'emprisonnement des âmes dans le corps. Cette conception se rencontre dans le catharisme, le manichéisme, etc.

2)      la métaphysique de la création
C’est la métaphysique judéo-chrétienne qui prétend que l'univers existe bel et bien  et qu'il est bon car Dieu dit : « cela est bon ». Mais cet univers n'est pas autosuffisant : il dépend d'un Autre : le créateur, Dieu, a créé l'univers à partir de rien, et il est distinct de son univers, de sa création. Ayant créé l'univers, Il ne s'en désintéresse pas mais opère d'une manière actuelle et continuelle, car sa création n'est pas achevée. Pour les juifs puis pour les chrétiens, c'est la parole créatrice de Dieu qui opère dans l'univers dont il est rigoureusement distinct à l'inverse logos immanent des stoïciens qui constituait la note du monde. Pour nous le logos est certes divin et immanent mais il est également transcendant. Cette création n'affecte en rien le caractère absolu de Dieu. Rien ne le contraint à créer le monde. Il s'agit d'un don libre et  désintéressé car pour lui l'acte de créer et l'acte d'aimer ne font qu'un.
Dans les théories précédentes, le but de notre vie et de nous faire retourner à l'unité dont nous serions exilés par l'illusion. Il s'agit d'une mystique de fusion. Alors que pour nous il n'est pas question de retourner à l'origine, de réintégrer une quelconque unité originelle : il s'agit de nous unir à Dieu, mais sans confusion ni des personnes, ni des natures. L'existence individuelle subsiste, elle n'est pas abolie mais au contraire exaltée. Il s'agit ici d'une mystique de l'union et non de fusion. Il est ici question de naître de nouveau, de naître d'en haut. Il est indispensable de rappeler que, pour nous, l'âme humaine n'est pas divine à l'origine, elle n'est pas incréée,  qu'elle ne préexistait pas au corps car en réalité, c'est elle, qui forme et  constitue le corps organisé et vivant. Sa vocation est divine, non par nature ou par essence, mais par vocation et par Grâce. Il est important de rappeler que Dieu est, et restera, l'altérité absolue pour l'homme, quel que soit le niveau de réalisation spirituelle qu'il aura atteint.
Je pense que vous comprenez que ces différentes théories s'excluent mutuellement. Tout ceci nous montre la nécessité absolue de choisir un chemin, et de rejeter tout ce qui ne lui est étranger : « que mon oui soit oui,  et que mon non soit non » le choix d'un chemin exclu tout tourisme spirituel, et tout butinage parasite, et de s'éloigner d'un culte de l'homme plus ou moins déguisé et divinisé. En général l'homme moderne est incapable de vénérer et de reconnaître le Dieu fait homme. La présente humanité fabrique donc des dieux à sa taille. Il lui arrive même d'assimiler le Christ à l'un ou l'autre de ces « grands hommes ».

Christianisme et réincarnation
Suite et fin
Pour bon nombre de fidèles, tant orthodoxes que catholiques romains, la pensée sur la mort est souvent floue et peu consistante, peu structurée, bien plus sentimentale que tout autre chose. Le sens de la « solidarité vivants-défunts » leur fait souvent défaut et laisse souvent place à l'envahissante tristesse. Or comme le disait  Saint-Jean de Saint-Denis « la mélancolie est le plus grand péché dans le plan vital ».
Ce déficit de la pensée religieuse est en partie la conséquence « de l'épais matérialisme qui régna au 19e et XXe siècle essentiellement scientiste ».
Or la révélation biblique nous enseigne que ce monde a un commencement. Elle nous apprend aussi qu'il aura une fin. Cette révélation traverse toute la Bible : « je suis l'alpha et l'oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin » (Ap 1,8) ; dès l'Ancien Testament cela est posé (Gn 1,1). C'est confirmé par de nombreux prophètes (Isaïe, Joël, etc.).La conception judéo-chrétienne de l'histoire est linéaire et non pas cyclique. L'Ancien Testament affirme également que nous sommes appelés à ressusciter. La résurrection du Christ nous précise que c'est bien de la résurrection de la chair dont il s'agit. Cela n'a rien à voir avec la survie d'une âme dans le monde des idées selon Platon ou d'autres qui le sont. Saint-Paul appelle Jésus le « premier-né d'entre les morts » (Co 1,18). Il affirme que tout homme ressuscitera car «  ce que Dieu a créé à son image » ne peut retourner au néant. Dès l'Ancien Testament la prophétie d'Ezéchiel affirme cette résurrection.
Pour nous chrétiens, la mort est « contre nature », car Dieu a créé l'homme incorruptible, et Saint-Paul précise que « la mort est le salaire du péché », c'est-à-dire de notre éloignement de Dieu. Il est pour nous évident que la mort est « le lieu où Dieu n'est pas », tout comme l'enfer. Par contre celui qui vit en Christ « est caché avec le Christ en Dieu ».
Quant au jugement dernier, il n'a rien à voir avec le juridisme des hommes, car « Celui qui nous jugera, Lui, nous aime ». Ezéquiel affirmait déjà : « je ne veux pas la mort du pécheur, mais  qu'il se convertisse et qu'il vive ». Nous seront jugés par l'Amour et par la Vérité de Dieu, cela ne diminue pas notre responsabilité pour toute notre vie. Par contre nous devons nous débarrasser de nos représentations juridiques. L'église a trop souvent abusé de la pédagogie de l'intimidation dans l'esprit d'un code pénal des plus impitoyables, oubliant «  l'abîme de la miséricorde de Dieu » or celle-ci est illimitée. « Seul l'homme, par un libre refus ou par révolte, peut s'opposer à cette miséricorde, et demeurer toujours dans la souffrance de son refus ». Nous pouvons expliquer ceci par l'attitude négative de celui « qui passe » face à son bilan.
Pour le père Alexandre Turincev « le problème de l'enfer est, de tous, le plus crucial. La conscience morale peut admettre l'enfer compris dans le sens un état de purification de l’âme, durable soit, mais pas éternel ». Saint-Jean Chrysostome disait dans un sermon pascal : « l'enfer a été frappé de mort lorsqu'il rencontra le Christ ». Dans le christianisme « la victoire sur les puissances de la mort »  au Golgotha et le cadavre « devenu source de vie », s'intègrent dans la conscience du croyant, le préparant au « passage du seuil » ; les poisons de destruction de l'individualité humaine sont alors neutralisés par la destruction de la mort. Nous pouvons affirmer que le Christ en croix agit comme un enseignant dans le subconscient des fidèles pendant leur vie terrestre et même après la naissance au ciel.
L'église orthodoxe ignore la distinction latine de l'enfer et du purgatoire. Elle prie pour tous les morts, et n'admet pas qu’il y en ait qui soient dès maintenant damnés pour toujours. Certes le salut est personnel, et je suis responsable devant Dieu de ma vie. Mais cela n'exclut pas la solidarité entre tous les êtres créés : les membres de l'église qui luttent dans ce monde, et ceux qui sont déjà récompensés dans l'autre, font partie du même corps. C'est ce que nous appelons « la communion des saints ». Tous sont appelés à une nouvelle vie car la prière du juste peut obtenir le pardon du pécheur même si celui-ci est déjà défunt.
Vous avez compris, que pour nous, les fidèles qui sont « nés au ciel » sont vivants, non plus dans notre continuum spatio-temporel, mais sous d'autres modalités. Il est donc tout à fait naturel de prier pour eux, ainsi que d'être convaincu qu’eux aussi peuvent nous aider. Après la naissance au ciel de l'un des nôtres, nous prions pour lui pendant 40 jours, et en faisons mémoire dans les litanies et les dyptiques. La quarantaine est le temps de la pénitence, du pardon, de la guérison et du retournement, la théchouva, pour nos frères juifs et la métanoïa pour les Grecs. Rappelons-nous les 40 jours de Jésus dans le désert, les 40 jours de Carême ou de l'Avant, les 40 ans du peuple élu dans le désert.
Dans nos liturgies, cette collaboration des élus et des vivants est toujours présente : lors de l'entrée, le prêtre demande à Dieu que son entrée « dans le Saint des Saints soit aussi celle de Tes esprits incorporels » (hiérarchies angéliques et tous les saints). Dans les litanies nous prions pour tous, et pour toute la création. Nous prions même pour ceux qui refusent la Grâce de Dieu. Nous prions en communion avec les hiérarchies célestes et tous les saints : « avec eux nous offrons nos prières pour tous ceux qui nous ont précédé dans la paix du seigneur, depuis Adam jusqu'à nos jours ».
Cette action,  concertée des vivants, de ceux qui sont passés, et les hiérarchies angéliques, se retrouve  également dans les vêpres et l’Office des défunts du 2 novembre. Nous prions pour sauver de la damnation « tout et tous ». Puis nous demandons au Seigneur de suppléer, par les larmes des vivants, l'insuffisance des œuvres des morts. Le chant d'introduction de l'Office des défunts nous donne les conditions de cette vie nouvelle : « Donne lui Seigneur, le repos éternel, et que brille à jamais sur lui la lumière ». Le défunt quitte, harassé de peine, un monde de ténèbres, la nuit de l’être, et il entre dans la Lumière. Il  « passe » du temps qui s'écoule au Présent. Nous avons tous vécu, à un moment ou à un autre, des instants à propos desquels nous avons pu dire : « il semble que le temps s'est arrêté ». Ces expériences nous donnent une vague idée de ce que peut-être ce Présent. Cette libération dynamique de l’être nous fait entrer dans la Lumière et le Présent : c'est « la Présence ». C'est le temps de la Grâce. C’est le lieu où les élus se nourrissent de Dieu et Le respire. Et là tout est chanté  ou psalmodié. Car c'est cela notre vocation: « être des chantants ». Pour nous chrétiens, la création est une majestueuse liturgie, et son mouvement naturel est « de chanter Dieu en sachant qu'elle Le chante ».